Conférence Aviaction : une halte à Lille vers la décroissance de l’aviation
10 Oct, 2022

Plus de 200 personnes se sont retrouvées en Octobre à Lille – dans le nord de la France – pour la deuxième conférence internationale du réseau Stay Grounded. Face à la crise climatique et aux projets écocides de l’aviation, ils et elles ont imaginé des actions communes pour stopper les extensions aéroportuaires, réduire le trafic aérien et défendre la biodiversité.

« Je fête aujourd’hui mon anniversaire » annonçait Audrey Boehly à la séance d’ouverture de la conférence AviAction, avant de préciser, après la fin des applaudissements, « mon anniversaire comme militante ».

Il y a exactement deux ans, cette mère de famille parisienne, ingénieure chimiste de formation et journaliste scientifique, investissait le tarmac de l’aéroport Charles-de-Gaulle à Roissy. Pour son premier acte de désobéissance civile, elle rejoignait une centaine de personnes environ pour dire « Non au terminal 4 », projet de construction d’un nouveau terminal qui devait s’intégrer à ce qui est déjà le deuxième complexe aéroportuaire européen et le plus polluant.

« Si je tolérais un tel crime climatique si près de chez moi, je ne pourrai plus regarder mes filles dans les yeux », explique-t-elle. Leur maison, soumise au survol de 1800 vols quotidiens – nombre qui serait augmenté de 500 du fait de l’extension – est devenue un atelier de fabrication de banderoles et de posters. Audrey a décidé de consacrer son temps et son énergie au collectif « Non au T4 » qui regroupe deux douzaines d’associations. En Novembre de l’année dernière, après un an de résistance acharnée, le gouvernement français annonçait l’abandon de ce méga-projet d’extension du principal aéroport parisien.

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Du 5 au 9 octobre dernier, à Lille, Audrey se joignait à plus de 150 personnes venues du monde entier, auxquelles s’ajoutaient plusieurs dizaines de participants en ligne. Les participants, d’horizons, d’âges et de métiers très divers, étaient issus des collectifs, associations et ONG qui composent le réseau Stay Grounded. Accueillies par l’association NADA (Non à l’agrandissement de l’aéroport de Lille-Lesquin), ces journées furent un moment de partage des expériences et de réflexion collective sur la stratégie à adopter pour une décroissance du trafic aérien, le plus polluant et le plus injuste des moyens de transport.

Sara Mingorría, chercheuse à l’Université de Gérone en Espagne, docteure en économie et militante de la plateforme Zeroport, a décrit le cheminement collectif des opposant·es à la méga-extension de l’aéroport de Barcelone. Ce mouvement  impliquant des chercheurs universitaires, des syndicats agricoles, des investisseurs immobiliers inquiets d’une dévaluation de leurs biens, ainsi que des associations de voisinage pour la décroissance du tourisme, avait vu le jour en 2019, à la conférence Stay Grounded. Le 19 septembre l’année dernière, à l’annonce officielle de l’abandon du projet, une marée humaine de plusieurs dizaines de milliers de personnes a envahi les rues de Barcelone en scandant le slogan « moins d’avions, plus de vies », dans une formidable célébration de pouvoir collectif. Comme le dit si bien Sara, « militer, ce n’est pas seulement combattre, c’est aussi faire la fête ensemble ».

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Un autre exemple de militantisme gagnant est la victoire obtenue à Notre-Dame des Landes après une décennie d’occupation du terrain par une communauté autogérée et rebelle, contre « l’aéroport et son monde ». Le mouvement a débouché sur l’annulation de ce projet d’aéroport. Aujourd’hui, là où les élites voulaient imposer des pistes goudronnées, des comptoirs d’enregistrement, une tour de contrôle aérien et un contrôle des frontières, on trouve des jardins communautaires, une bibliothèque est en service et même un phare en bois. Une question est fondamentale, rappellent les occupants : que se passe-t-il si nous gagnons ? Il est en effet essentiel d’imaginer dès le départ le monde dans lequel nous voulons vivre sans le projet, ajoutent deux habitant·es de la ZAD de Notre Dame des Landes.

La plus récente victoire a été gagnée à Amsterdam-Schiphol, troisième aéroport d’Europe en termes de fréquentation. Il a été contraint par le gouvernement néerlandais de diminuer le nombre de ses vols, en conformité avec la législation sur la pollution, pour protéger la santé de la population. Un précédent inspirant pour plafonner les mouvements d’avions des aéroports à Paris ou Lisbonne.

A côté de la nécessité de stopper des projets aéroportuaires et d’annuler des vols, une autre question majeure se pose aux opposant·es : la nécessité d’associer à la réflexion les travailleur·euses de l’aviation et les syndicats eux-mêmes, pour faire en sorte que cette industrie « atterrisse » en toute sécurité. C’est l’objectif du groupe “Safe Landing”. Finlay Asher, ingénieur en moteurs d’avion, et Todd Smith, ancien pilote dans l’aviation commerciale, tentent d’expliquer à leurs collègues que la seule façon de garantir l’emploi à long terme est de mettre fin à la croissance de l’industrie et à sa pollution. “Il n’y a pas pire pour l’économie et pour la sécurité de l’emploi que la catastrophe climatique que l’aviation est en train de provoquer”, déclare Finlay. “Nous avons construit cette industrie, nous l’exploitons. Et nous pouvons la transformer”, dit-il aussi en appelant ses collègues à se réunir en assemblées de travailleur·euses. Safe Landing a également contribué à démonter les fausses solutions invoquées par l’industrie. En s’appuyant sur des faits concrets, ils dénoncent les fausses solutions – avions électriques, avions à hydrogène ou biocarburants – comme des tactiques de greenwashing pur et simple, ayant un effet grave : détourner le public de la véritable solution : voler moins.

 

De l’injustice globale à la solidarité globale

La conférence AviAction a fait apparaître avec une évidente netteté « l’urgence d’agir, au vu des catastrophes climatiques récentes au Pakistan, qui ont causé des destructions considérables, fait plus de mille morts, des milliers de blessés et des millions de sinistrés . Les peuples d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine consomment peu et ne polluent pas au même niveau que les pays industrialisés. Mais ils en paient injustement les conséquences », a déclaré Gabriela Vega Tellez, membre du Conseil national indigène du Mexique.

« L’aviation est un excellent exemple de l’injustice mondiale : une élite, principalement du Nord, profite des avantages de l’avion et ce sont des personnes du Sud n’ayant jamais mis les pieds dans un avion qui subissent les effets destructeurs du trafic aérien », a déclaré Daniela Subtil de Rester sur Terre. Cette chercheuse portugaise en développement et en durabilité a contribué à cartographier les conflits causés par le transport aérien dans le monde et a aidé à rassembler des personnes et des territoires dans la lutte commune pour défendre la vie. « Les groupes en Europe ont le devoir de lutter ensemble avec leurs camarades d’autres régions du monde qui résistent aux projets d’aéroports, aux plantations d’agrocarburants, aux projets de compensation carbone et au tourisme de masse, afin d’amplifier et de soutenir leurs luttes – tout en apprenant des expériences des autres. »

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Les luttes autour des aéroports démontrent à quel point ils sont interconnectés aux peuples, aux territoires et même aux intérêts financiers à l’échelle mondiale. À titre d’exemple, la multinationale française Vinci, propriétaire des aéroports français et portugais, vient d’acquérir treize aéroports au Mexique, pays où les mouvements sociaux et indigènes résistent à l’expansion des aéroports pour défendre leurs terres, leur eau et leur autonomie. Ces aéroports, dénonce Gabriela Tellez, sont « construits avec l’argent des contribuables sur des terres dont ont été dépossédées des communautés indigènes ». Gabriela Tellez insiste sur l’importance, pour les peuples du monde et le réseau Rester sur Terre, de faire entendre leurs voix dans la lutte pour un monde meilleur, « un monde dans lequel plusieurs mondes ont leur place ».

Les militant·es d’AviAction solidaires avec la lutte locale de Lille

« Les résistances locales contre les extensions d’aéroports partout dans le monde ne peuvent gagner que si elles s’intègrent dans un mouvement global contre la croissance mondiale de l’aviation », insiste Daniela Subtil. Le samedi 8 octobre, une journée avant la fin de la conférence AviAviaction, une action ciblée sur l’aéroport de Lille a eu lieu le matin. L’après-midi du même jour, après des prises de parole, un ensemble de panneaux formant une carte a été porté par des militants sur la place de la République, au centre-ville de Lille. Cette carte répertoriait plus d’une centaine de conflits actuels en lien avec des aéroports, dans le monde entier. Sur une banderole, on pouvait lire « Stop all airport expansion now ». (Stoppons tous les projets d’extensions d’aéroports maintenant”)

Le soleil de l’après-midi perçait la grisaille automnale du nord de la France lorsque des centaines de résidents et de militants se sont rassemblés au son des tambours et de la fanfare, contre l’extension de l’aéroport de Lille et de tous les aéroports dans le monde. Le lobby de l’aviation veut doubler le nombre de mouvements dans cet aéroport, déjà environné de plusieurs aéroports internationaux comme Paris et Charleroi. Mais ce projet est dénoncé par l’association NADA, créée en mars 2021.

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Face à ses camarades français, Francisco Pedro, militant d’ATERRA, poursuivi par l’État portugais pour avoir dénoncé l’extension de l’aéroport de Lisbonne, a accusé la multinationale française Vinci de tirer profit de la dévastation écologique causée par ce projet.

« Ne laissons pas le système capitaliste nous isoler de la vision du monde dans lequel nous voulons vivre : un monde où nous n’avons plus besoin de nous déplacer partout en toute hâte, où nous ancrons nos pieds à la terre et voyageons moins, plus lentement et beaucoup mieux. »

Après cinq jours de partage d’expériences et d’élaboration de nouvelles stratégies, les militant·es et les organisations qui se sont réuni·es à Lille ont promis de retourner bientôt dans les rues, pour des actions plus créatives et plus puissantes contre le transport aérien nuisible au climat.

Accueillis pendant une semaine à Lille, les participant·es sont reparti·es vers leurs contrées d’origine : en train, en auto-stop, en bus, à vélo… sans qu’aucun vol ne soit pris.

En marge de cette rencontre pour la justice, l’écologie et l’avenir, l’assemblée annuelle de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), s’est réunie au Canada où, en dépit la crise climatique, ses dirigeants ont à nouveau planifié une augmentation du trafic aérien, en invoquant de fausses solutions pour la neutralité carbone en 2050.