Appels à la décroissance du transport aérien depuis le fief toulousain d’Airbus
3 Nov, 2020
Toulouse

A l’occasion de tribunes successives, au cours de cette année 2020, des ingénieurs de l’aéronautique et des chercheurs prennent le taureau par les cornes et saisissent l’opportunité de la crise frappant le secteur aérien pour appeler à repenser son modèle en assumant une décroissance du trafic. Une rareté dans le monde industriel : les signataires prennent très au sérieux la problématique climatique et l’objectif de décarbonation de l’économie, et dissipent l’illusion de l’hydrogène miracle. 

Fin septembre 2020. Il n’aura fallu que trois jours aux ingénieurs du collectif Supaéro- décarbo pour détricoter le projet ZEROe présenté par Airbus. Alors que le transport aérien s’enfonce dans la crise économique et que son image est à la peine, l’hydrogène est mis en avant comme une panacée tant par Airbus que par le gouvernement français. Mais les faits sont têtus et les ingénieurs aiment les faits. Retour sur ce nouveau discours.

Une tribune qui fera date

Ces positions sur l’hydrogène viennent renforcer à quelques mois d’écart des points de vues énoncés précédemment dans une tribune “historique” regroupant bien plus de signataires : dans une démarche très clairvoyante, des étudiants du secteur de l’aéronautique lançaient déjà le 29 mai 2020 un appel aux politiques et industriels du secteur. Le propos est limpide : il n’est plus possible de poursuivre dans la voie d’une croissance perpétuelle du transport aérien. Contestant l’idée que la technologie puisse réduire suffisamment son impact climatique, ils rappellent que pour respecter l’accord de Paris, « les émissions du trafic aérien, aussi bien français qu’international, doivent décroître de 4,5 % par an. » Ils fustigent également les illusions telles que la « compensation des vols par la plantation de forêts », et les « investissements financiers verts … » 

Le message est clair : sans se mentir, faisons d’une malchance une opportunité : « Dans le pire des cas, plus de la moitié des nouveaux diplômés de nos écoles verraient leur entrée dans le monde professionnel compromise. Au vu des menaces économiques et climatiques […] un retour à la croissance du secteur, s’il se produit, serait de courte durée. Nous sommes convaincus que le ralentissement de cette industrie constitue une opportunité pour convertir une partie de notre savoir-faire et de nos chaînes de production vers les activités à même de porter la transition écologique, comme le ferroviaire ou l’efficacité énergétique. »

Un avis partagé par les scientifiques

Les signataires approuvent la proposition lancée un peu plus tôt par l’Atelier d’écologie politique de Toulouse d’une réflexion collective à ce sujet : « Nous sommes désireux d’échanger avec les employés et dirigeants de ce secteur, avec les représentants du gouvernement, avec les membres de la convention citoyenne pour le climat sur la place de l’aéronautique au sein d’un monde qui doit réinventer sa mobilité pour assurer sa décarbonation d’ici à 2050. »

L’Atelier d’Ecologie Politique de Toulouse se définit comme une « communauté pluridisciplinaire de scientifiques travaillant ou réfléchissant aux multiples aspects liés aux bouleversements écologiques. » Cette structure et son homologue d’Ile-de-France (l’Ecopolien) ont pris également position très clairement dès le 6 mai en adressant une lettre ouverte aux Toulousains dépendant de près ou de loin de l’industrie aéronautique locale. « Nous sommes proches de vous. Vous êtes nos ami.e.s de vingt ans, vous êtes nos voisins et voisines,…», rappelaient-ils, avant de souligner les enjeux environnementaux, de déconstruire les promesses de verdissement de l’aéronautique comme la compensation carbone et les agrocarburants, et d’inviter à repenser le modèle économique en favorisant la  reconversion des employés.

Ainsi, l’approche systémique des activités humaines prévaut chez ces ingénieurs et chercheurs qui posent la question de l’utilité sociale des activités industrielles humaines, et en particulier le rôle de l’aéronautique. La création fin 2018 de Supaéro-Décarbo illustre bien ce tournant. Ce collectif a été lancé par une vingtaine d’anciens élèves de l’Ecole supérieure d’aéronautique souhaitant voir se se matérialiser un axe de développement sur le sujet de la transition écologique dans l’industrie aéronautique, “sans complexe ni tabou”.

L’urgence climatique est motrice dans cette démarche et les propos responsables tenus par le collectif à l’occasion de sa réplique aux promesses d’Airbus sur l’avion à hydrogène en attestent: « Au vu de l’état du monde projeté par le GIEC au-delà des « +2°C », nous refusons d’échouer dans la maîtrise de nos émissions de GES. Nous refusons de ne pas tout tenter aujourd’hui pour maîtriser les risques que nous faisons courir au monde de demain. »

Des salariés de l’aéronautique se sont également constitués en un collectif intitulé ICARE, et publiaient le 13 octobre sur le site du journal en ligne Mediapart un billet de blog marquant leur volonté d’être acteurs de la reconversion de demain.

Les prises de position sont donc nombreuses dans la sphère toulousaine. Rester sur Terre, réseau militant soucieux de s’appuyer sur la science ne peut que saluer le courage intellectuel de ces personnes engagées dans les filières menacées. Dire la réalité et en tirer les conséquences est sans nul doute une attitude exemplaire et inspirante, qui traduit un sens aigu de l’intérêt général. 

 

  1. ZEROe et le monde de demain, par le collectif Supaéro-Décarbo, 24 septembre 2020.
  2. Aéronautique: « la transition écologique impose une profonde transformation de notre industrie », par plus de 700 étudiants du secteur aéronautique, Le Monde, 29 mai 2020.
  3. Lettre aux salariées et salariés de l’industrie aéronautique, 6 mai 2020, par  l’Atelier d’Ecologie Politique de Toulouse (Atécopol). Voir aussi Avion à hydrogène: quelques éléments de désenfumage, 29 sept 2020
  4. Transformons ensemble le monde aéronautique, par le collectif ICARE, Blog Médiapart, 13 octobre 2020.