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FICHES GREENWASHING AVIATION

Ce que le secteur aérien nous dit et ce qu’il ne DIT PAS

Ce qu’il faut savoir sur les promesses de décarbonation et les solutions illusoires

Le secteur aérien et son lobby continuent à pousser la croissance, préjudiciable au climat. En réaction à la sensibilité croissante du public et des politiques à l’impact de l’aviation sur le climat, le secteur fait miroiter des solutions technologiques pour une aviation plus verte, afin d’échapper à des règlementations visant à réduire le trafic aérien et ses émissions.

En examinant de plus près ce que le secteur nous dit et ce qu’il ne nous dit pas, nous déconstruisons, dans cette série de fiches, les idées fausses les plus répandues et démystifions ses promesses.

  • Amélioration de l’efficacité
  • L’avion électrique
  • L’avion à hydrogène
  • Bio/Agro-carburants
  • E-carburants
  • Neutralité carbone
  • Compensation carbone
  • Technologies d’émissions négatives

Amélioration de l’efficacité

L’efficacité des avions est liée à la quantité de carburant consommée par un avion pour transporter sa charge utile (passagers et fret) sur une distance donnée. L’efficacité peut être améliorée en optimisant la conception des avions et de leurs moteurs, en optimisant les opérations des compagnies aériennes (la trajectoire de vol par exemple) et en augmentant le nombre de passagers ou la quantité de fret transportés à bord d’un même appareil.
La quantité de CO2 émise par passager-km est proportionnelle à la consommation de carburant ; elle est donc d’autant plus faible que l’efficacité est grande.

CE QUE LE SECTEUR AÉRIEN NOUS DIT CE QU’IL NE NOUS DIT PAS
Le transport aérien peut être décarboné en améliorant l’efficacité énergétique. L’Histoire montre que l’« amélioration de l’efficacité » s’est toujours soldée par une augmentation des émissions ! En effet, l’amélioration de l’efficacité énergétique contribue à réduire le coût des billets
et favorise ainsi la croissance du trafic aérien. L’augmentation des émissions dépasse largement les réductions d’émissions résultant des gains
d’efficacité.
Soutenir le développement technologique des avions et l’optimisation du trafic aérien a un impact positif sur l’environnement. Les bénéfices en termes de réduction d’émissions peuvent être annulés par les compagnies aériennes qui augmentent leur offre de sièges en classe affaires ou en première classe ou qui proposent des vols plus rapides ou vers des destinations plus lointaines.
Par conséquent, il ne faut pas pénaliser financièrement les compagnies aériennes
par des mesures telles que des taxes sur les billets ou sur les carburants, car cela réduirait les bénéfices disponibles pour investir dans de nouvelles technologies et de nouvelles procédures.
Il faut donc instaurer en parallèle des mesures pour limiter les émissions, comme la taxation des billets, ou celle du carburant qui incite à l’économiser. De telles politiques permettent en fait d’accélérer l’amélioration de l’efficacité des avions !

 

L’avion électrique

Les avions électriques sont propulsés par des hélices ou des pales de turbine entraînées par des moteurs électriques. Dans les avions 100 % électriques, ces moteurs sont alimentés par des batteries ou des piles à combustible à hydrogène. Dans les avions hybrides électriques, les moteurs électriques sont associés à des moteurs à combustion alimentés en kérosène, disposés en série ou en parallèle.
CE QUE LE SECTEUR AÉRIEN NOUS DIT CE QU’IL NE NOUS DIT PAS
Les avions électriques seront zéro émission. Les avions électriques ne seront PAS zéro émission
tant que le réseau électrique ne sera pas entièrement décarboné
.
L’avion électrique a une bonne efficacité énergétique. L’avion électrique n’a PAS une bonne efficacité énergétique en comparaison avec les transports en commun terrestres (train, autocar).
Sa contribution à la décarbonation du transport aérien sera importante. Sa contribution à la décarbonation du transport aérien sera très faible, car son rayon d’action et sa capacité sont trop limités.
Des avions électriques seront bientôt opérationnels. Les seuls avions susceptibles d’être certifiés au cours de cette décennie seront très petits. Et il n’y en aura pas de plus grands avant 2050, trop tard pour empêcher le chaos climatique.

L’avion à hydrogène

Pour remplacer le kérosène, il est prévu d’utiliser l’hydrogène comme source d’énergie pour les avions. L’hydrogène pourra soit être brûlé dans un réacteur, soit alimenter une pile à combustible et générer de l’électricité pour faire tourner une hélice. Il doit être produit à partir d’autres sources d’énergie, causant au passage des pertes énergétiques importantes, et est généralement stocké sous forme liquide à −253 °C.

CE QUE LE SECTEUR
AÉRIEN NOUS DIT
CE QU’IL NE
NOUS DIT PAS
C’est pour bientôt
De nouveaux avions à hydrogène pourraient entrer en service d’ici 2035.
Trop tard
Même si cela se concrétisait, l’avion à hydrogène arriverait beaucoup trop tard pour faire face à
l’urgence climatique.
Exclu pour les moyen- et long-courriers
L’hydrogène n’est pas envisageable pour les moyen- et long-courriers avant 2050. D’ici là, seuls seront visés les vols régionaux et court-courriers, dont beaucoup pourraient être remplacés par la route ou le rail. D’ici là, seuls seront visés les vols régionaux et court-courriers, dont beaucoup pourraient être remplacés par la route ou le rail.
Zéro émission
Lorsqu’il est brûlé ou utilisé dans une pile à combustible, l’hydrogène ne produit pas de CO2, mais uniquement de l’eau.
Pas « zéro émission »
Même si l’hydrogène est produit à partir d’électricité renouvelable, les avions à hydrogène émettront toujours des oxydes d’azote (NOx) et généreront des traînées de condensation et des cirrus qui ont un impact climatique plus important que le CO2 seul.
Une énorme consommation d’énergie
Le recours à l’hydrogène « vert » dans le transport aérien nécessiterait d’énormes quantités d’électricité renouvelable, au détriment des autres secteurs qui doivent eux aussi se décarboner.
La faisabilité n’est pas assurée
L‘avion à hydrogène n’existe que sur le papier. Avant qu’il ne devienne une réalité, de nombreux problèmes, notamment en matière de sécurité, doivent être résolus, et de nouvelles technologies développées. Avant qu’il ne devienne une réalité, de nombreux problèmes, notamment en matière de sécurité, doivent être résolus, et de nouvelles technologies développées.
Il faut des aides de l’État
Des fonds publics sont indispensables pour financer le développement des avions à hydrogène et pour subventionner la production d’hydrogène.
Ce sont les contribuables qui vont payer les aides de l’État,
alors que la plupart d’entre eux ne prennent jamais l’avion ou rarement…Il faut des aides de l’État
Des fonds publics sont indispensables pour financer le développement des avions à hydrogène et pour subventionner la production d’hydrogène.

Bio/Agro-carburants

Les bio/agro-carburants aviation sont des hydrocarbures liquides qui peuvent être utilisés par les avions actuellement en service en mélange avec le kérosène fossile. Avec les e-carburants (voir fiche N° 5 E-carburants), ils sont regroupés par le secteur aérien sous la dénomination de « Carburants d’aviation durables » (CAD ou SAF en aglais), ce qu’ils ne sont pas, comme nous le démontrons dans cette fiche.

Les bio/agro-carburants aviation sont produits à partir de biomasse et d’hydrogène.Les agrocarburants (première génération) utilisent des cultures alimentaires. En raison de leurs inconvénients, le secteur est tenu par la législation européenne d’utiliser des « déchets et résidus » industriels, municipaux, agricoles ou forestiers comme matières premières.
À l’heure actuelle, les seuls biocarburants aviation de ce type ayant fait leurs preuves à l’échelle industrielle, les HEFA (esters et acides gras hydrogénés), sont fabriqués à partir de matières premières dénommées « huiles alimentaires usagées (HAU) » ou « graisses animales » (en provenance des abattoirs).

Mais il faut savoir que ces dénominations font l’objet de larges détournements, notamment lorsque de
l’huile de palme vierge est étiquetée « HAU ». Quant aux « biocarburants avancés » issus de biomasse lignocellulosique (bois, paille…), aucun procédé n’a jamais atteint une échelle industrielle et ne l’atteindra sans doute jamais. L’hydrogène, bien que rarement évoqué, est requis dans tous les procédés certifiés de fabrication de bio/agro-carburants aviation, mais il reste aujourd’hui principalement produit à partir de
combustibles fossiles
(voir fiche N° 3 L’avion à hydrogène).

CE QUE LE SECTEUR AÉRIEN NOUS DIT CE QU’IL NE DIT PAS
Les biocarburants jouent un rôle clé dans la décarbonation de l’aérien. Nous les utilisons déjà aujourd’hui et nous avons des plans pour répondre à la demande croissante de voyages tout en réduisant les émissions. Les biocarburants ne répondent pas à l’urgence climatique. Ils détournent la biomasse de ses fonctions essentielles : nourrir l’humanité, protéger la biodiversité et capter le CO2, et entrent en concurrence avec d’autres secteurs qui ont besoin des mêmes ressources. De toute façon, la transition vers les biocarburants est à peine amorcée (0,3 % en 2024) et les plans de développement sont beaucoup trop lents et irréalistes. La seule façon de réduire rapidement les émissions est de réduire le trafic aérien dès aujourd’hui.
Les biocarburants aviation pourraient réduire considérablement les émissions de CO2, jusqu’à 80 % par rapport au kérosène fossile. Les biocarburants sont loin d’être zéro émission. Lorsqu’ils sont issus de cultures alimentaires ou d’huile de palme maquillée en huile usagée, les biocarburants peuvent même émettre plus de CO2 que les carburants fossiles. Ce serait la même
chose avec des biocarburants issus de bois ou de paille.
Le secteur aérien n’utilisera pas d’agrocarburants issus
de cultures
qui posent des problèmes de durabilité.
Les agrocarburants issus de cultures alimentaires sont largement utilisés malgré des problèmes majeurs : ils représentent ⅓ de l’approvisionnement actuel et prévu dans le monde. Ils entrent en concurrence avec l’alimentation et ont de graves conséquences sur le plan humanitaire, environnemental, sanitaire et sur la biodiversité.
Le secteur aérien utilisera plutôt des biocarburants issus de « déchets et résidus durables » n’entrant pas
en concurrence avec l’agriculture et sans impacts environnementaux ou sociaux négatifs.
La nouvelle génération de biocarburants est un écran de fumée : seuls les biocarburants issus d’huiles et de graisses usagées sont disponibles sur le marché, mais leur faible disponibilité devrait les faire réserver aux usages les plus prioritaires. D’autant que, du fait de leur rareté, ils sont souvent remplacés frauduleusement par des huiles vierges.
Les gouvernements doivent prendre en charge les
surcoûts pour que le prix des billets reste abordable,
et que la croissance du transport aérien ne soit pas affectée.
Quand les gouvernements accordent des subventions, ce sont les contribuables qui paient, alors que la plupart ne prennent que rarement ou jamais l’avion. C’est de l’argent détourné de secteurs plus essentiels.

 

Infographic Factsheet Biofuels UCOs Keep Frying to Keep Flying

E-carburants

Les carburants d’aviation alternatifs également appelés « carburants d’aviation durables » (Sustainable Aviation Fuels, SAF) sont des hydrocarbures liquides qui peuvent être utilisés par les avions actuellement en service, à la place du kérosène dérivé du pétrole. Le secteur aérien considère que ces carburants sont durables parce qu’ils sont fabriqués à partir de CO2 prélevé dans l’atmosphère, et non à partir de pétrole extrait du sous-sol, qui ajoute du CO2 à l’atmosphère en brûlant. Leur argument est que le mélange de ces carburants avec des carburants fossiles réduirait donc les émissions.

Il existe deux grandes catégories de carburants d’aviation alternatifs:

  • Les biocarburants produits à partir de biomasse (voir Fiche N° 4)
  • Les électrocarburants synthétiques (e-carburants) produits à partir d’électricité (voir ci-dessous)

Les électrocarburants synthétiques, ou e-carburants, sont obtenus en combinant de l’hydrogène et du carbone pour former un hydrocarbure liquide. Afin de limiter les émissions, l’hydrogène doit être extrait de l’eau par électrolyse à l’aide d’électricité renouvelable et le dioxyde de carbone doit être extrait de l’air par capture atmosphérique directe (Direct Air Capture, DAC). Les deux molécules sont ensuite combinées par le procédé Fischer-Tropsch (FT) pour former des hydrocarbures1. L’énergie requise doit également être renouvelable.

Les électrocarburants sont également connus sous le nom de carburants synthétiques (Synfuels) ou de carburants liquides issus de la conversion d’électricité (Power-to-Liquid, PtL). Les e-carburants, comme les biocarburants, sont des carburants de substitution qui pourraient être mélangés au kérosène fossile et utilisés par les avions existants.

A première vue, les e-carburants semblent être l’arme ultime pour décarboner le transport aérien : utilisation possible dans tous les types d’avions actuellement en service, quel que soit leur rayon d’action ; matières premières très abondantes (eau et air) ; électricité générée à partir du soleil et du vent – des énergies très abondantes. Alors pourquoi n’y a-t-il encore aucun avion utilisant ce type de carburants et pourquoi n’y en aura-t-il que très peu avant une dizaine d’années ? Principalement parce que la production d’e-carburants gaspille énormément d’énergie, alors qu’on sait qu’il n’y aura déjà pas suffi samment d’énergies renouvelables pour décarboner les autres secteurs dans les décennies à venir. Mais aussi parce que c’est un nouveau secteur à créer de toutes pièces, qui doit achever le développement des procédés et mettre en place toute la filière.

CE QUE LE SECTEUR AÉRIEN NOUS DIT CE QU’IL NE NOUS DIT PAS
C’est pour bientôt
On pourrait commencer à mettre des e-carburants dans le kérosène en 2030.
Trop tard
Les e-carburants ne répondent pas à l’urgence climatique. Bien que la technologie soit démontrée, elle n’en est encore qu’au stade pilote et il faudra plusieurs décennies de lourds investissements pour mettre en place les capacités de production nécessaires.
Zéro émission
Leur production ne générera pas d’émissions de CO2 et leur combustion ne fera que remettre dans l’atmosphère le CO2 qui en aura été extrait.
Pas zéro émission
Même si les émissions de CO2 peuvent théoriquement être réduites à zéro, les e-carburants généreraient toujours des NOx, des traînées de condensation et des cirrus qui ont aujourd’hui un impact climatique deux fois plus important que le CO2.
Énorme consommation d’électricité
Il faut encore plus d’électricité pour produire des e-carburants que pour produire de l’hydrogène, ce qui priverait les autres secteurs qui doivent se décarboner.
Efficacité énergétique très faible
Seulement 10% environ de l’électricité utilisée serait convertie en poussée pour faire voler les avions, alors qu’on peut l’utiliser avec un bien meilleur rendement dans la plupart des autres applications.
Il faut des aides de l’État
Des fonds publics sont indispensables pour financer les e-carburants afin que la croissance du secteur ne soit pas entravée.
Ce sont les contribuables qui vont payer les aides de l’État,
alors que la plupart d’entre eux ne prennent jamais l’avion ou rarement… Les subventions pour les e-carburants risquent de gaspiller l’argent public pour une solution coûteuse. Elles permettraient de maintenir le prix des billets artificiellement bas, ce qui entraînerait une plus grande croissance du trafic et des émissions que si c’était les compagnies qui payaient.

 

Neutralité carbone

La neutralité carbone est aujourd’hui l’objectif principal de la plupart des stratégies climatiques des secteurs économiques et des gouvernements. Pour sa part, le secteur aérien s’est engagé à atteindre zéro émissions nettes de CO2 d’ici 2050.

Selon le GIEC1, les émissions nettes de CO2 sont égales à zéro lorsque les émissions anthropiques de CO2 restantes sont compensées à l’échelle de la planète par des éliminations anthropiques de CO2. Cela signifie que certaines émissions « difficiles à réduire » sont encore autorisées, à condition que des quantités équivalentes de CO2 soient retirées de l’atmosphère. On parle aussi de neutralité carbone. Lorsque tous les gaz à effet de serre sont pris en compte, on parle de zéro émissions nettes ou de neutralité climatique.

L’élimination de dioxyde de carbone fait référence aux moyens de retirer du CO2 de l’atmosphère en complément du piégeage naturel du cycle du carbone. Elle peut être réalisée soit en augmentant les puits bio- ou géochimiques de CO2, soit en utilisant des procédés industriels pour capter le CO2. L’élimination de dioxyde de carbone est l’une des deux possibilités de compensation carbone 2 à côté des crédits pour émissions « évitées ».

CE QUE LE SECTEUR AÉRIEN NOUS DIT CE QU’IL NE DIT PAS
La neutralité carbone va éviter la catastrophe climatique. Si le secteur aérien atteint la neutralité carbone en 2050, il sera en ligne avec l’objectif de l’Accord de Paris de ne pas dépasser 1,5 °C de réchauffement. Trop lentement, trop tard. Ce qui compte, ce sont les émissions cumulées entre maintenant et 2050. Viser la neutralité carbone en 2050 n’est pas pertinent alors que la part de budget carbone du secteur pour 1,5 °C sera épuisée bien avant 2050.
On a les technologies. De nouvelles technologies et de nouveaux carburants vont permettre d’atteindre la neutralité carbone sans remettre en cause la croissance du trafic. Les technologies ne sont pas démontrées et sont gourmandes en ressources. On ne peut donc pas compter sur elles. Ce qu’il faut, c’est réduire les émissions le plus rapidement possible, ce qui implique de réduire le trafic.
On retirera du CO2 de l’atmosphère. Nous ne serons pas en mesure de supprimer complètement les émissions de CO2 d’ici 2050. Nous devrons donc extraire du CO2 de l’air pour atteindre la neutralité carbone. L’appropriation par un secteur des moyens de retirer du CO2 n’est pas équitable. Aucun secteur ne peut s’approprier le potentiel limité d’élimination du CO2 pour compenser ses propres émissions résiduelles, en achetant sa neutralité. Ce qu’il faut, c’est une répartition équitable du budget carbone mondial restant.
On ne fait rien pour les effets autres que le CO2, il y a trop d’incertitudes. Les effets des émissions autres que le CO2 ne sont pas suffisamment bien connus ni bien quantifiés pour être intégrés dans les plans zéro émissions. Les effets autres que le CO2 sont trop importants pour qu’on les ignore. Le principe de précaution exige donc qu’elles soient prises en compte et réduites.
On prend le problème à bras le corps. Notre objectif de neutralité carbone nous permet d’assumer notre responsabilité climatique et la réduction de nos émissions. Nos enfants en paieront le prix. Les entreprises et les gouvernements utilisent l’objectif de neutralité carbone en 2050 pour diminuer le sentiment d’urgence et masquer leur inaction présente, fuyant ainsi leurs responsabilités.

Compensation carbone

La compensation carbone repose sur des « unités » de gaz à effet de serre (GES) vendues par des entités revendiquant les avoir retirées de l’atmosphère ou avoir évité ou réduit leur émission, et achetées par d’autres entités pour tenter de compenser leurs propres émissions.

La compensation carbone joue un rôle important dans de nombreux plans actuels de réduction des émissions et peut être utilisée par des systèmes d’échange de quotas comme c’est le cas en Californie. Basée sur des projets situés pour la plupart dans les pays du Sud global, elle est utilisée par les États et les entreprises (appartenant surtout au Nord global) pour se mettre en conformité. La plupart des échanges ont lieu sur des marchés du carbone spécialisés.

Le secteur aérien fait un large recours à la compensation carbone. L’OACI (Organisation de l’aviation civile internationale), l’organisme des Nations unies en charge du secteur, est parvenue à un accord sur un système commun pour les vols internationaux, dénommé CORSIA (Carbon Offsetting and Reduction Scheme for International Aviation, Régime de compensation et de réduction de carbone pour l’aviation internationale).

Certains pays comme la France disposent de systèmes de compensation particuliers pour les vols à l’intérieur de leurs frontières. Les passagers aériens peuvent également se voir proposer de compenser leur voyage lorsqu’ils effectuent une réservation auprès de compagnies aériennes ou d’agences de voyage, et dans certains cas la compensation carbone est même incluse dans le prix du billet. Souvent les aéroports se « verdissent » en compensant les émissions de leur activité au sol et en font un argument pour inciter les gens à utiliser leurs services, sans se soucier des émissions des avions.

 

CE QUE LE SECTEUR AÉRIEN NOUS DIT CE QU’IL NE NOUS DIT PAS
Indispensable : les émissions des avions sont « difficiles à réduire ». La compensation carbone est donc indispensable pour parvenir à une « croissance neutre en carbone » dans le cadre de CORSIA (2021-2035)1 et à la neutralité carbone en 20502. Fallacieuse : la compensation carbone ne réduit pas les émissions. Elle détourne des projets essentiels à la réalisation des objectifs climatiques mondiaux, pour justifier la poursuite de la croissance du transport aérien. De plus, les projets de plantation d’arbres et de protection des forêts, les plus répandus, n’ont aucune garantie de pérennité et ne peuvent être déployés à une échelle suffisante en raison
du manque de terres disponibles.
Qualité garantie : la qualité des projets de compensation carbone est garantie
par des normes internationales et des organismes certificateurs indépendants.
Inefficace ou frauduleuse : de nombreux projets de compensation
ne respectent pas les normes de qualité et ouvrent la porte à la fraude.
Action immédiate : de nombreux crédits carbone liés à des projets de qualité en attente de financement sont disponibles sur le marché. Procrastination : la compensation détourne l’attention de l’urgence qu’il y a à réduire les émissions du secteur aérien pour atteindre les objectifs climatiques. Elle accroît les risques de chaos climatique, retarde l’action et ouvre le droit à polluer.
Équitable : vu l’importance du transport aérien pour la société et l’économie mondiale, plutôt que de réduire le trafic, il est juste, lorsque c’est plus rentable, de payer pour réduire les émissions ailleurs ou pour retirer du CO2 de l’atmosphère. Injuste : la compensation carbone est injuste car elle légitime les émissions élevées d’une minorité aisée, tout en accaparant des ressources essentielles pour la majorité, comme des terres nécessaires à la production alimentaire ou à la restauration de la biodiversité.
Mieux que des taxes : la compensation est une meilleure option que les réglementations environnementales, telles que taxes et restrictions du trafic aérien, qui réduisent les bénéfices dont les compagnies aériennes ont besoin pour investir dans de nouvelles technologies ou de nouveaux carburants. Trop peu cher : les crédits carbone sont tellement bon marché que les systèmes de compensation ne peuvent conduire à une réduction de la demande, indispensable pour faire baisser les émissions.

Technologies d’émissions négatives

Comme la plupart des gouvernements et de nombreux secteurs, le transport aérien s’est donné pour objectif d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Mais cet objectif est insuffisant pour répondre à l’ambition de l’accord de Paris, qui suppose une réduction importante des émissions à court terme, ce que le secteur ne semble pas en mesure, ou ne pas avoir la volonté de réaliser (voir fiche #6 : Neutralité carbone – Zéro émissions nettes). Celui-ci justifie son niveau élevé d’émissions, voire leur augmentation, en arguant du recours à des émissions négatives (également appelées « élimination du dioxyde de carbone » (CDR) ou « élimination des gaz à effet de serre » (GHGR), dans un futur relativement éloigné. C’est également une stratégie dangereuse et risquée, comme nous l’expliquons dans cette fiche.

Les « technologies d’émissions négatives » (NET) désignent les processus industriels (par opposition aux processus naturels tels que la croissance des arbres) qui éliminent le dioxyde de carbone (CO2) en le captant dans l’atmosphère et en le stockant, en principe de manière permanente. Les technologies généralement proposées sont les suivantes (1) :

  • Captage direct dans l’air et stockage du dioxyde de carbone (DACCS) : captage du CO2 de l’atmosphère par des procédés industriels et stockage sous terre.
  • Bioénergie avec captage et stockage du dioxyde de carbone (BECCS) : production d’énergie à partir de biomasse, puis stockage sous terre ou dans le sol d’une partie du CO2 émis.
CE QUE LE SECTEUR AÉRIEN NOUS DIT CE QU’IL NE NOUS DIT PAS
LES NET SONT NÉCESSAIRES : poursuivre la croissance du trafic aérien implique de continuer à émettre du CO2 et de le recapter plus tard. ON NE PEUT PLUS ATTENDRE, IL FAUT RÉDUIRE LE TRAFIC MAINTENANT : les NET – qui ne seront pas disponibles à grande échelle avant des décennies – donnent au transport aérien un « permis de polluer » qui contribuera à réchauffer l’atmosphère au-delà de 1,5 °C.
PROUVÉES : Les processus d’élimination du CO2 de l’atmosphère fonctionnent et ont été démontrés. LES NET SONT NON PROUVÉES : LE DACCS et le BECCS n’ont pas fait leurs preuves à grande échelle
et présentent un grand nombre de risques techniques, économiques, humanitaires et environnementaux graves.
EFFICACES : ces technologies peuvent éliminer dès maintenant de grandes quantités de CO2 de l’atmosphère et les stocker de manière permanente, en toute sécurité. INEFFICACES : ces technologies consomment énormément d’énergie et de ressources trop peu abondantes pour les gaspiller. Il vaudrait mieux les utiliser pour décarboner d’autres activités de manière plus efficace.
FAIBLE COÛT : leur coût est encore élevé aujourd’hui, mais il diminuera lorsqu’elles seront déployées à grande échelle. CHÈRES : même si leur efficacité s’améliorait autant que certains le pensent, les NET resteront gourmandes en énergie et en ressources, et donc coûteuses, pendant de nombreuses années encore.
ÉQUITABLES : le rôle important joué par le transport aérien pour la société et l’économie mondiale justifie de laisser ses émissions augmenter – plutôt que de réduire le trafic – et de payer pour nettoyer CO2 de l’atmosphère, quand et là où ce sera le plus rentable. INJUSTES : les NET sont injustes car elles cautionnent les émissions élevées d’une minorité aisée, tout en accaparant des ressources essentielles pour la majorité. L’injustice est également intergénérationnelle.
LES SUBVENTIONS SONT NÉCESSAIRES : en raison de leurs coûts élevés, les gouvernements doivent subventionner les NET, pour que l’avion reste accessible et que la croissance du secteur ne soit pas affectée. LES SUBVENTIONS ONT DES EFFETS PERVERS : elles inciteraient à poursuivre l’exploitation du pétrole et les émissions de CO2 aussi longtemps que possible, en maximisant avec l’argent du contribuable les profits de l’industrie pétrolière et la taille du marché futur de l’élimination du CO2 dans l’atmosphère.

 

Bien que le développement de nouvelles technologies et de nouveaux carburants puisse se révéler utile, cela ne doit pas être un alibi pour remettre à plus tard les réductions d’émissions indispensables pour atténuer la crise climatique. La seule manière de réduire les émissions du secteur aérien est de limiter les voyages en avion. Pour ce faire, il faut des réglementations efficaces.

Dans notre rapport Décroissance du transport aérien, nous discutons des mesures qui pourraient permettre une réduction juste du trafic. Et dans notre document intitulé Pour une transition juste dans l’aérien, nous montrons comment une reconversion du secteur est possible tout en préservant les intérêts des salarié.e.s. Pour des informations plus détaillées sur la compensation carbone, les systèmes d’échange de quotas d’émissions et la marchandisation de la nature, consulter notre rapport L’illusion de l’Aviation Verte.