Au terme d’une consultation publique, le gouvernement s’apprête à publier le décret d’application de l’article 145 de la loi Climat et résilience interdisant les vols intérieurs quand le train assure la liaison en moins de 2h30. La volonté de minimiser la portée de la demande initiale de la Convention citoyenne est toujours présente. Ainsi le gouvernement a trouvé le moyen de “sauver” les lignes à destination de Roissy et Lyon, malgré l’opposition de la Commission européenne à une dérogation pour les vols assurant des correspondances. Voici comment !
La bataille a été longue et rude. Peu de temps après l’adoption de la loi, la Commission a reçu deux plaintes (l’une émanant d’aéroports et l’autre de compagnies aériennes) alléguant que l’article 145 était incompatible avec le droit de l’Union. En cause, les vols en correspondance, principalement à Roissy. Les maintenir créerait une distorsion de concurrence avec les compagnies desservant les mêmes liaisons sans assurer de correspondance.
Roissy échappe à l’interdiction en devenant une « destination à part entière »
La Commission leur ayant donné raison, le gouvernement a trouvé des parades : il a fait disparaître le motif « vols en correspondance », mais a précisé les gares à prendre en compte dans le calcul des 2h30 : il s’agit « des gares desservant les mêmes villes que les aéroports concernés; lorsque le plus important en termes de trafic des deux aéroports concernés est directement desservi par un service ferroviaire à grande vitesse, la gare retenue est celle desservant cet aéroport. » Les gares TGV de Roissy et de Lyon Saint-Exupéry acquièrent ainsi le statut de « destination à part entière ». Mais en prenant la gare TGV de Roissy comme destination et non plus la gare Montparnasse, les liaisons aériennes Bordeaux-Roissy et Nantes-Roissy peuvent être maintenues car on dépasse les fatidiques 2h30 en TGV. Alors qu’il faut 2h10 pour faire Bordeaux-Montparnasse ou Nantes-Montparnasse, il faut au moins 3h30 pour rallier Roissy de Bordeaux et 3h de Nantes.
Pour les lignes Rennes-Roissy, Lyon-Roissy et Marseille-Lyon, le trajet en TGV restant inférieur à 2h30, le gouvernement allègue que « les fréquences sont insuffisantes et/ou que les horaires sont insatisfaisants (ils ne permettent pas d’accéder suffisamment tôt le matin à l’aéroport ou d’en partir suffisamment tard le soir). » Quand on compare les horaires d’Air France, seule compagnie à assurer les liaisons aériennes, et ceux de la SNCF, la supériorité de l’avion sur le TGV ne saute pas aux yeux : Air France offre des plages horaires plus amples que le TGV, mais les TGV sont plus fréquents et « permettent plus de huit heures de présence sur place dans la journée », autre critère imaginé par le projet de décret.
La Commission semble avoir fermé les yeux sur ces tours de passe-passe. Voici ce qu’elle écrit dans sa décision du 1er décembre 2022 : « La France ayant supprimé ces deux dérogations, les préoccupations concernant le risque qu’elles n’entraînent une discrimination et une distorsion de concurrence entre transporteurs aériens ont été levées (…) Les critères utilisés pour l’interdiction dans le projet final de décret sont fondés sur la durée et la fréquence des liaisons ferroviaires et sur le caractère satisfaisant des horaires, et sont donc de nature objective. » Le critère de « destination à part entière » est pourtant parfaitement absurde, car si Roissy n’avait pas eu de gare TGV, les deux liaisons aériennes auraient été supprimées !
Dans notre contribution à la consultation publique, nous avons contesté la qualification de « destination à part entière » pour les aéroports possédant une gare TGV. En disant cela, le gouvernement sous-entend en effet que la majorité des passagers arrivant à Roissy-TGV viendraient prendre un avion et non pour se rendre à Paris ou dans l’agglomération parisienne. Est-ce bien le cas ? La note explicative du gouvernement ne le justifie en aucune manière.
Quel bénéfice pour le climat ?
On ne saura pas combien de CO2 supplémentaire l’interdiction des vols courts vers Roissy aurait pu éviter, le gouvernement n’ayant pas fourni de données à la Commission. Mais il a tout de même indiqué que les émissions évitées par l’interdiction (déjà effective) des vols de Bordeaux, Nantes et Lyon vers Orly s’élèvent à 55 000 tonnes de CO2 par an, soit 2,6 % seulement des émissions des vols intérieurs et 0,2 % des émissions totales du pays (base 2019). Très peu donc. La mesure, comme les autres rescapées de la Convention citoyenne, reste donc tout à fait symbolique. Et pourrait même s’avérer pire que le mal, car les créneaux des aéroports concernés seront à terme réattribués et le seront forcément à des liaisons plus longues. A moins que la capacité des aéroports ne soit contrainte, à l’exemple d’Amsterdam-Schiphol…
La balle est dans le camp de la SNCF
Le gouvernement prévoit que « la situation des liaisons interdites et des liaisons potentiellement concernées par l’interdiction sera examinée en amont de chaque saison aéronautique. » Donc même si le décret est publié en l’état, la situation ne restera pas pour autant figée. La balle est maintenant dans le camp de la SNCF, sinon pour se conformer aux règles extravagantes établies, du moins pour proposer un service adapté aux besoins des passagers.
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Photo Claude Shoshany : CC BY-SA 3.0
Article mis à jour le 10/02/2023