Deux pubs d’easyJet épinglées pour greenwashing par le Jury de Déontologie Publicitaire (JDP)
1 Mar, 2023

Campagne antipub visant les publicités pour les énergies fossiles et leur usage. Ici à Glasgow pendant la COP26 en novembre 2021 (Photo SG)
Incendies de forêts spectaculaires. A partir de 22,99 €

 

Nous publions avec un peu de retard notre analyse des avis du JDP sur deux pubs d’Easyjet publiées dans la presse française en 2021.

« Nous compensons nos émissions »

Avis publié le 4 janvier 2022
EASYJET – 798/21
Plainte fondée

La plainte émanait d’un particulier (1) qui considère que cette publicité constitue du greenwashing. “La compensation carbone ne doit être en aucun cas une excuse pour consommer et voler encore plus.”

Le Jury constate que la compagnie n’a compensé ses émissions de l’année 2020 qu’à hauteur de 58 % (2) alors que dans le lien fourni pour plus d’informations, elle affirme compenser « pour chacun de ses vols toutes les émissions de carbone issues des carburants utilisés ».

Le Jury conteste donc la revendication d’easyJet de compenser la totalité de ses émissions, et d’être la seule grande compagnie aérienne européenne à le faire. Il rappelle que d’autres compagnies aériennes ont développé des programmes de compensation carbone, de sorte qu’il n’est pas avéré que le choix d’easyJet serait « plus respectueux de l’environnement ». Cette publicité est donc de nature à induire en erreur le public et minimise les conséquences environnementales du recours à l’avion.

Le Jury ne s’attaque pas au principe même de la compensation carbone, mais souligne tout de même qu’elle est « de nature à “décomplexer” les consommateurs et à inciter à un recours excessif au transport aérien en dépit de ses incidences environnementales. »

« Des vols zéro émission de CO2 d’ici 2050 »

Avis publié le 29 mars 2022
EASYJET – 818/22
Plaintes fondées
Demande de révision rejetée

Cette publicité a fait l’objet de deux plaintes émanant de particuliers, dont l’une regroupant plusieurs particuliers (3).

L’un des plaignants considère qu’un certain nombre de données scientifiques viennent contredire les promesses faites dans la publicité et s’interroge sur l’existence de vols zéro émission d’ici 2050. En attendant et même après 2050, le souhait sous-jacent d’une publicité étant d’augmenter la vente de billets, les avions dégageant énormément de CO2 continueront de voler aux couleurs d’EasyJet même s’ils promettent qu’une partie de leurs avions seront plus propres.

Pour l’autre plaignant, cette publicité est manifestement mensongère et contribue à obscurcir le débat sur les scénarios soutenables du transport aérien. En effet, la création de tels avions reste hautement improbable, pour des raisons de physique de base et de ressources énergétiques.
Ils rappellent que, selon le GIEC, la trajectoire qui permet de contenir le réchauffement climatique à 1.5°C nécessite de viser la neutralité carbone d’ici 2050, ce qui implique de diviser par 2 nos émissions tous les 10 ans. Or ce genre de publicité conforte selon eux le lecteur dans l’idée qu’il est possible d’attendre 2050 que la technologie et les entreprises vertueuses nous tirent d’affaire, sans qu’il soit nécessaire de changer de comportement.

Le Jury rappelle à titre liminaire que la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP (Autorité de régulation professionnelle de la publicité) n’a pas pour objet d’interdire aux entreprises, notamment celles du transport aérien, de valoriser les actions qu’elles mènent en matière environnementale. Elle fixe en revanche un cadre déontologique que ces dernières doivent respecter afin de ne pas dégrader la confiance que le consommateur peut porter tant à l’activité commerciale qu’à sa promotion publicitaire et de ne pas induire ce dernier en erreur, en altérant abusivement les comportements d’achat ou en affectant la loyauté de la concurrence entre opérateurs.

En premier lieu, le Jury reproche à easyJet d’avoir axé sa communication sur les seuls vols, en omettant le cycle de vie des avions, de sa fabrication à son élimination ou son recyclage.
Ce reproche est fondé, mais la focalisation d’easyJet sur les seuls vols est sans réelle conséquence, car les émissions liées au cycle de vie des avions sont très faibles en comparaison des émissions liées aux vols. Les émissions des infrastructures aéroportuaires sont elles aussi assez faibles. En fin de compte, on estime qu’environ 95% des émissions de CO2 sont liées aux vols.

D’autre part, le Jury reproche à easyJet le manque de consistance des informations fournies pour étayer l’ambition affichée :
elle ne fournit aucun détail sur son partenariat avec Airbus et Wright Electric, couvert par le secret des affaires.
la page du site internet intitulée « Voyageons mieux » vers laquelle renvoie la publicité est essentiellement consacrée aux mesures déjà effectives de réduction d’émissions et au programme de compensation carbone. Cette page comporte un encart cliquable « L’avenir du voyage » renvoyant à une autre page sur laquelle n’est fournie qu’une description sommaire et hypothétique de « l’avion du futur ».

Le Jury relève que le référentiel ISAE-SUPAERO Aviation et climat publié en septembre 2021, auquel se réfèrent tant la société que les plaignants, met en évidence de nombreuses hypothèques pesant sur la capacité du secteur aérien à diminuer rapidement et fortement ses émissions de CO2, limites affectant aussi bien les ressources énergétiques que la vitesse de déploiement des solutions technologiques (cf. synthèse de l’étude, page 14).

S’il n’entend nullement remettre en cause les efforts que consent la société pour parvenir aux objectifs qu’elle s’est fixés ni, évidemment, l’ambition elle-même, le Jury estime que, eu égard à l’horizon de temps très éloigné auquel se réfère la publicité et aux fortes incertitudes qui pèsent sur la possibilité de mettre en service, à cette échéance, des avions n’émettant en vol aucune émission de gaz à effet de serre, l’exigence de clarté du message figurant au point 4.2. aurait exigé qu’il comporte un renvoi direct à un contenu clair permettant au public d’apprécier le contexte particulier qui serait nécessaire pour que l’objectif fixé soit atteint.

EasyJet a fait appel de la décision, appel qui a été rejeté.

Conséquences de ces décisions du JDP :

  • easyJet n’encourt aucune pénalité, mais les adversaires du tout aérien peuvent s’en réclamer pour étayer leur discours sur le greenwashing du secteur.
  • ces décisions font jurisprudence et ont un écho dans la profession. Ainsi le groupe Le Monde, informé des plaintes et des dispositions dont la violation est invoquée, a reconnu que la publicité en cause contrevenait à la réglementation applicable et regretté d’avoir manqué de vigilance. Il a également programmé des actions de sensibilisation auprès des équipes de sa régie publicitaire sur la recommandation « Développement durable » de l’ARPP.
  • et peut-être ces décisions ont-elles pesé dans la balance quand la compagnie a décidé en septembre 2022 d’arrêter de compenser les émissions de l’ensemble de ses vols…

(1) Contrairement à ce qui est écrit dans l’avis du JDP relatif à l’autre pub, ce n’est pas Stay Grounded qui a déposé cette plainte.
(2) En retenant les scopes 1, 2 et 3, et à peine 75 % en se basant sur la seule utilisation du carburant pour les scopes 1 et 2 (Selon le rapport annuel 2020 de la société).
(3) Les deux plaintes émanent en fait de collectifs, la première de Pensons l’aéronautique pour demain et la seconde d’un collectif de scientifiques de Grenoble.