Contrairement à ce qu’affirme le syndicat professionnel de l’industrie aéronautique, l’aviation ne sera pas décarbonée en 2035, elle en sera même très loin. 2035 n’est que la date annoncée par Airbus pour la mise en service, si tout se passe bien, d’un premier avion à hydrogène.
Dans un communiqué du 13 avril 2021 [1], le GIFAS (Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales) déclare :
« l‘objectif à atteindre à l’horizon 2035 est une aviation décarbonée, avec un avion zéro-émissions »
Le secteur aérien est un habitué du greenwashing, mais cette fois ce n’en est plus, c’est un pur mensonge. La preuve dans un document du même GIFAS vantant les efforts du secteur, publié un mois plus tôt [2] : « Le secteur s’est engagé à mettre au point d’ici à 2035 un avion décarboné. »
2035 est une date clef pour le secteur aéronautique depuis qu’Airbus a annoncé la mise en service d’un avion à hydrogène en 2035 [3], mais elle ne marquera que le début d’une longue marche vers la décarbonation de l’aviation.
Qu’aurons-nous réellement en 2035 ?
Aux dires mêmes des acteurs du secteur, voilà ce qu’on pourrait avoir en 2035 :
- Un premier avion à hydrogène, peut-être, si tout se passe comme prévu, car le pari technologique est très hasardeux, mais en aucun cas une gamme d’avions. Et ce sera forcément un court- ou un moyen-courrier, alors qu’en Europe les long-courriers sont responsables de la moitié des émissions de CO2. Il faudra ensuite de 15 à 25 ans pour convertir l’ensemble de la flotte.
- Des avions électriques, sans doute, mais seulement sur les vols régionaux (< 500 km), qui ne représentent que 4 % des émissions de CO2 en Europe.
- Des biocarburants, un peu seulement, car la quantité de matière première écologiquement et socialement acceptable est limitée et le secteur aérien n’est pas le seul demandeur. L’ambition de la France est d’en mélanger 5% au kérosène en 2030.
- Des carburants synthétiques, probablement très peu, car la solution n’est pas encore opérationnelle et coûte très cher.
Il faut également souligner qu’aucune de ces solutions ne sera zéro émission, car elles ne visent que les émissions de CO2 sans s’attaquer réellement aux autres émissions (NOx et traînées de condensation) qui subsisteront, au moins en partie [4].
Ce que ne dit pas non plus le GIFAS, et que pourtant reconnaissait tout récemment Guillaume Faury, PDG d’Airbus [5], c’est que toutes ces solutions (à l’exception des biocarburants) reposent sur une disponibilité massive d’électricité renouvelable. Une étude européenne récente pilotée par le secteur aérien a montré que si 40% de la flotte était convertie à l’hydrogène et que le reste utilisait 100% de carburants synthétiques, il faudrait 28 000 TWh d’électricité renouvelable par an [4], une quantité à peu près équivalente à la production mondiale totale d’électricité d’aujourd’hui. Rien que pour l’aviation ! Alors que la capacité de production renouvelable est encore largement insuffisante et le restera longtemps pour décarboner la production mondiale d’électricité qui repose encore largement sur le charbon…
N’oublions pas non plus que de nouveaux acteurs de l’industrie aéronautique vont complètement à contre-courant en développant activement une nouvelle génération d’avions supersoniques ainsi que des avions taxi à décollage vertical très gourmands en énergie et que par ailleurs rien ne semble freiner l’essor de l’aviation privée, très émettrice de CO2 !
Non, l’aviation ne sera pas décarbonée en 2035, et les solutions technologiques mises en avant par le secteur, comme l’ont montré récemment le Shift Project et Supaéro Décarbo, sont loin d’être suffisantes pour atteindre les objectifs climatiques mondiaux. Le secteur aérien devra renoncer à la croissance et même réduire le trafic en attendant le déploiement de solutions qui ne sont encore que dans les cartons. C’est ce qu’avaient bien compris les citoyens de la Convention citoyenne en proposant des mesures qui allaient dans ce sens. Mais elles ont ensuite été complètement vidées de leur substance par le gouvernement avant de les intégrer à la loi Climat et résilience récemment adoptée par les députés.
Photo : © Elsa Palito / Greenpeace
[1] Communiqué de presse du GIFAS du 13 avril 2021
Bilan 2020 : une année éprouvante pour l’Industrie Française Aéronautique, Spatiale et de Défense
[2] Document du GIFAS du 5 mars 2021
Filière aéronautique et avion décarboné : enjeux et perspectives 2020-2035
[3] Airbus reveals new zero-emission concept aircraft (21 septembre 2020)
[4] Hydrogen-powered aviation. A fact-based study of hydrogen technology, economics, and climate impact by 2050 (Mai 2020). Clean Sky 2 JU and Fuel Cells and Hydrogen 2 JU (Joint Undertakings)
[5] Clean Aviation for a Competitive Green Recovery in Europe: Innovative Ideas Take Flight. Clean Sky (22 avril 2021) (Démarrer la vidéo à 1h06’)