Si l’avion « zéro-carbone » voit le jour, il manque sa cible, incapable qu’il est de s’appliquer aux long-courriers qui représentent pourtant actuellement 63 % des émissions de CO2 de l’aviation commerciale en France, et pour lesquels il n’existe pas de réelle alternative. Il ne vise que le marché du court et moyen-courrier dont une bonne partie est en revanche substituable par le train, et arrivera trop tard. De plus, si le choix est fait de brûler l’hydrogène, il ne résoudra pas le problème de l’impact climatique des émissions hors CO2.
Le gouvernement français a annoncé le 12 juin 2020 un plan de soutien à l’industrie aéronautique dont l’un des volets consiste à « investir pour concevoir et produire en France les appareils de demain ». Un milliard et demi d’euros d’aides publiques seront investis sur les trois prochaines années pour soutenir la R&D et l’innovation du secteur. Selon le dossier de presse , « ce plan vise à préparer :
- le successeur de l’A320, l’appareil commercial le plus vendu au monde, selon deux directions d’effort complémentaires : l’ultrasobriété énergétique (gain de 30% de consommation de carburant et capacité de 100% de biocarburants) et le passage à l’hydrogène comme énergie primaire (appareil « zéro émissions de CO2 »). Cet appareil pourrait entrer en service entre 2033 et 2035, avec un premier démonstrateur entre 2026 et 2028
- un nouvel appareil régional, soit ultrasobre et hybride électrique, soit ultrasobre et alimenté à l’hydrogène, qui entrerait en service vers 2030 (démonstrateur en 2028) »
Les annonces ne font pas clairement la distinction entre hydrogène en tant que carburéacteur et en tant qu’alimentation de piles à combustible pour des moteurs électriques, mais il semblerait que les deux voies soient envisagées. En tout cas, la “propulsion” à l’hydrogène (comme dans les fusées) est explicitement évoquée.
Ce plan ne concerne que deux segments de marché, le court et le moyen-courrier, les long-courriers ne pouvant être décarbonés à un coût supportable par les technologies envisagées. Il ne répond donc que très partiellement à l’objectif de décarboner le transport aérien. Il faut en effet savoir que les long-courriers représentaient en 2018 63 % des émissions de CO2 de l’aviation commerciale imputables à la France et 79% des émissions de Roissy-CDG (*).
D’autre part, à supposer que le premier A-320 « zéro-carbone » soit mis en service en 2035, il faudra attendre 2050 pour que la conversion de la flotte soit complète. Ce délai est incompatible avec l’urgence climatique qui exige de réduire les émissions mondiales de GES de 55 % d’ici 2030 et de 87 % d’ici 2050 pour ne pas dépasser 1,5 °C.
Dans les deux cas, il faudra de l’électricité verte – dont la production va être déficitaire par rapport à la demande dans les décennies à venir – pour recharger les batteries ou produire de l’hydrogène. Enfin, si la voie de la propulsion à hydrogène était adoptée, elle ne supprimerait pas les traînées de condensation ni les NOx et leurs dérivés, dont l’impact climatique est au moins aussi important que celui du CO2.
Au final, beaucoup d’argent investi dans des projets incapables de réduire massivement l’impact climatique du transport aérien ! L’« avion zéro-carbone » verra peut-être le jour d’ici 2050, mais l’« aviation zéro-carbone » reste une promesse sans fondements.
(*) Au niveau mondial, la proportion des émissions de CO2 des vols long-courriers est un peu moindre qu’en France, mais tout de même voisine de 50 %.
L’avis du Haut conseil pour le climat (HCC)
« La perspective d’une aviation décarbonée d’ici une génération est souhaitable et bienvenue, mais sa réalisation et sa diffusion nécessitent des délais incompatibles avec une diminution des émissions cohérente avec l’objectif de température de l’accord de Paris. La diminution structurelle des émissions du secteur, hors compensation, ne peut reposer sur un espoir technologique lointain. »
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