Plus de 70 scientifiques demandent l’interdiction des vols en jet privé
4 Avr, 2023

Justice climatique : il est temps d’interdire les vols en jet privé !

Tribune parue dans Libération le 04/04/2023

Le 6 avril prochain, les député-es auront à se prononcer sur une proposition de loi visant à interdire des vols en jet privé. A l’heure où tous les moyens doivent être mis en œuvre pour réduire rapidement nos émissions de gaz à effet de serre (GES), il s’agit d’une occasion unique d’adopter une mesure de justice sociale, indispensable à l’adhésion de l’ensemble des habitant·es de notre pays aux mesures nécessaires pour endiguer le réchauffement climatique.

Le rapport de synthèse du sixième rapport du GIEC, paru le lundi 20 mars, souligne l’urgence d’une action climatique intégrée à court terme. Le changement climatique est une menace pour le bien-être humain et la santé des écosystèmes, et la fenêtre d’opportunité afin de garantir un avenir vivable et durable pour tous se referme très rapidement. Une baisse radicale, rapide et soutenue des émissions doit être une priorité. En d’autres termes : nous ne pouvons plus permettre qu’une minorité émette des quantités inconsidérées de GES pour gagner quelques heures, quand d’autres moyens de transports sont disponibles et nettement moins émetteurs ! Rappelons qu’un passager de vol en jet privé émet 5 à 14 fois plus qu’un passager de vol commercial et en 2022, 55% des vols en jet étaient des déplacements courts ou très courts, inférieurs à 750 km. Tous ceux-là sont facilement substituables par un autre moyen de transport, et les destinations plus lointaines peuvent être atteintes par les lignes régulières.

Aujourd’hui, l’aviation d’affaires connaît un essor insoutenable, notamment en France : selon une nouvelle étude parue le 30 mars, le nombre de décollages sur notre sol est le plus important de toute l’Union Européenne (84 885 en 2022). Et tandis que les vols au départ de la France ont été multipliés par 4,6 entre 2020 et 2022, les émissions ont été multipliées par 8 ! Dans cette course contre la montre pour un monde vivable, chaque tonne de CO2 non émise compte, et les émissions des jets privés sont particulièrement choquantes. Nous enjoignons donc la représentation nationale à commencer immédiatement par prendre des mesures dont l’acceptabilité sociale est forte ! Aujourd’hui, 59% des français sont favorables à l’interdiction des vols en jet privé, et une pétition demandant aux député·es de voter cette proposition de loi a déjà rassemblé près de 45.000 signataires en deux semaines.

Chaque tonne de CO2 émise par un jet privé est une aberration qu’il faut faire cesser. A l’heure où les Françaises et les Français sont appelés à plus de sobriété énergétique, comment justifier de laisser une poignée de privilégiés émettre en un seul vol autant qu’un Français moyen en plusieurs mois ? Comment justifier de demander plus d’efforts à ceux dont le bilan carbone n’est pas le plus élevé ni le plus facile à réduire, ceux-là même qui peinent déjà à se chauffer et à payer leurs factures ? Le GIEC est explicite à ce sujet : sans sentiment de justice, sans réduction des inégalités, les mesures de réduction d’émissions ne seront ni acceptables, ni efficaces. Dans notre société déjà profondément clivée, les vols en jet privé ne sont pas qu’un symbole, ils sont un levier.

Toutefois, même si l’interdiction des vols en jets privés est indispensable, elle sera loin d’être suffisante pour réduire de manière significative les émissions du transport aérien. L’aviation commerciale en France était responsable en 2019 de 6,8 % des émissions de CO2 imputables à notre pays, et sa part va continuer à croître malgré des promesses de décarbonation sur lesquelles il est illusoire de compter. Les scénarios de décarbonation de l’aviation de l’ADEME, parus en septembre, le montrent : les solutions technologiques ne suffiront pas. Seule une modération du trafic peut permettre de réduire les émissions du secteur avant 2030 comme l’exige l’Accord de Paris. Le législateur devra s’en faire l’artisan, en stoppant toute extension d’aéroport, en mettant fin aux exemptions injustifiées de taxes dont bénéficient les compagnies aériennes, et en instaurant plus d’équité à l’aide par exemple d’une taxe progressive sur les grands voyageurs. L’État devra également soutenir et investir dans des moyens de transports beaucoup moins carbonés, en particulier le train – de nuit pour les longues distances.

***

Signataires  :

Julien Azuara, enseignant-chercheur en écologie, Camille Baudoin, enseignante en informatique à l’INSA CVL, Lucie Baudoin, enseignante-chercheuse en sciences de gestion, Marine Beneat, doctorante en écologie marine, Sarah Berthet, chercheuse en océanographie (CNRM), Pascal Bonnefond, astronome, Julian Carrey, physicien, enseignant-chercheur, Guillaume Carbou, enseignant-chercheur en sciences de la communication, Damien Cartron, ingénieur de recherche en sociologie, Aude Carreric, chercheuse en sciences du climat, Mathieu Chassé, enseignant-chercheur en géosciences, Guillaume Cullerier, ingénieur développement, Martine Cohen-Salmon, directrice de recherche CNRS, Blaise de Saint Phalle, doctorant en philosophie, Luc Deneire, Professeur des universités, Agnès Ducharne, climatologue, chercheuse au CNRS, Marie-Anne Dujarier, Sociologue, François Dulac, chercheur-ingénieur CEA, climat et environnement, Anaelle Durfort, doctorante en écologie, Lara Elfjiva, anthropologue, doctorante, André Estevez-Torres, chercheur au CNRS, Jeanne Gherardi Scao (MCF UVSQ LSCE) – changements climatiques et impacts, Sophie Godin-Beekmann, directrice de recherche CNRS, physique de l’atmosphère, Midoli Goto, ingénieure en écologie, Jim Grisillon, doctorant en chimie de l’atmosphère, Jérôme Guilet, chercheur en astrophysique au CEA, Pierre Guillon, chercheur CNRS (informatique), Joël Guiot, directeur de recherche émérite CNRS (paléoclimatologue), Gaetan Hagel, physicien, Université d’Aix-Marseille, Gabriel Hes, doctorant en climat-écologie forestière, Laurent Husson, sciences de la Terre, directeur de recherche, Jonah Jaubert, élève-ingénieur en science des données, Kévin Jean, enseignant-chercheur en épidémiologie, Florence Joly, immunologiste, chercheure, Alban de Kerchove d’Exaerde, Directeur de Recherche FNRS, Sylvain Kuppel, hydrologue, chercheur, Bertrand Lambolez, biologiste, directeur de recherche, Samantha Laporte, linguistique, enseignante-chercheuse, Julien Lefevre, informatique, enseignant-chercheur, Alexandre Le Tiec, astrophysicien, chercheur au CNRS, Florence Maraninchi, informatique, professeure, Gaël Mariani, doctorant en écologie, Stéphanie Mariette, généticienne, chercheure, Pascal Maugis, chercheur sur les impacts du changement climatiques, Benjamin Mauroy, mathématicien, directeur de recherche, Julien Milli, astronome adjoint, chercheur en formation planétaire, Thierry Moutin, océanographe, professeur, Marwan Naciri, doctorant en écologie, Philippe Nahmias, professeur de physique, Laurent Pagani, astrophysicien, directeur de recherche au CNRS, Aura Parmentier-Cajaiba, EC en Sciences de Gestion; Maîtresse de conférences, Sebastien Parnaudeau, chercheur en biologie, Laurent Perrin, généticien, directeur de recherches, Jean-Christophe Poully, enseignant-chercheur en physique, Chiara Pistocchi, maîtresse de conférences en science du sol, Hugo Raguet, enseignant-chercheur en informatique, Mathias Rollot, enseignant-chercheur en humanités écologiques, Françoise Roques, astronome, Pierre Salou, ingénieur CEA, Loïc Sanchez, doctorant en écologie marine, Jérôme Santolini, biochimiste, directeur de recherche; Capucine Saulpic, sciences du langage, doctorante, Olivier Saulpic, sciences de gestion, professeur, Daniele Schön, neurosciences, directeur de recherche, Laure Teulières, enseignante-chercheuse en histoire, François Tronche, chercheur en biologie, Pascal Vaillant, enseignant-chercheur en informatique, Constance Valentin, physique, chercheuse CNRS, Elodie Vercken, écologue, directrice de recherches, Laure Vieu, informatique et linguistique, chercheuse, Florence Volaire, écologue, chercheure