Ce qu'il faut savoir sur l'avion
Quel est l’impact climatique du transport aérien ?
À quel point l'avion est-il mauvais pour votre empreinte carbone ?
À quel point l'avion est-il injuste ?
Pourquoi la compensation carbone n’est-elle pas la solution ?
L'avion « vert » est-il possible ?
Pourquoi le transport aérien est-il si peu réglementé ?
Pourquoi le prix des billets d'avion est-il si dérisoire ?
Quelles réformes doivent être faites ?
Quelle est la conséquence de la multiplication des aéroports ?
Prévenir la crise climatique est le plus grand défi que l'humanité ait jamais eu à affronter.
Indice : il est vraiment très mauvais.
Le trafic aérien fait barrage à la justice climatique. Bien que pour les habitants d’Europe de l’Ouest, il puisse sembler normal de prendre l’avion, cette « normalité » n’existe que depuis quelques décennies et est encore rare à l’échelle mondiale. Il est difficile de trouver des chiffres exacts mais les estimations sont qu’environ 10%, ou entre 5 et 20%de la population mondiale n’a jamais mis les pieds dans un avion. Beaucoup de gens n’ont pas les moyens de prendre l’avion ou ne sont pas autorisés à le faire en raison de politiques migratoires restrictives.
Il faut aussi s’intéresser aux différentes raisons de prendre l’avion. Ainsi, un homme d’affaires volant chaque mois vers sa villa toscane devrait-il être traité de la même façon que quelqu’un qui prend l’avion tous les deux ans pour rendre visite à sa famille proche sur un autre continent ? Il existe des solutions à cette injustice – découvrez la taxe sur les passagers réguliers et d’autres mesures.
Qu’est-ce que la compensation carbone ?
Les projets de compensation carbone sont principalement situés dans les pays de l’hémisphère Sud. Beaucoup d’entre eux sont des projets hydroélectriques visant à réduire la dépendance aux combustibles fossiles pour la production d’énergie. Les projets de conservation des forêts, les exploitants de plantations d’arbres ou les organisations qui distribuent des cuisinières respectueuses du climat aux femmes des régions rurales peuvent également vendre des crédits carbone.
Quels problèmes la compensation carbone pose-t-elle ?
1. La compensation ne réduit pas vraiment les émissions
Des études montrent que la majorité des projets n’évaluent pas correctement leurs réductions d’émissions. L’Öko-Institut a analysé l’efficacité de projets de compensation des Nations-Unies et a conclu que seuls 2% des projets ont de fortes chances d’aboutir à des réductions d’émissions supplémentaires. Ainsi, des réductions d’émissions auraient été obtenues sans devoir payer pour la compensation, par exemple lorsqu’une centrale hydroélectrique aurait été construite de toute façon. Pour ce qui est de planter des arbres, il leur faudra des années de croissance avant de pouvoir réabsorber le carbone de votre vol. Et il est difficile de garantir qu’ils existeront assez longtemps pour compenser votre vol.
Comme il revient moins cher de compenser le carbone dans les pays de l’hémisphère sud, c’est là que se trouvent la plupart des projets. Ils conduisent souvent à des conflits locaux ou à l’appropriation de terres. C’est en particulier le cas pour les projets fonciers ou forestiers comme REDD+ (Réduction des Emissions dues à la Déforestation et à la Dégradation des forêts). Souvent, on empêche les petits exploitants et les populations indigènes d’utiliser la forêt de façon ancestrale afin de stocker la quantité prévue de carbone dans les arbres. En fin de compte, la compensation s’avère être une forme de colonialisme du carbone pour de nombreux groupes autochtones.
3. Les compensations sont une vente d’indulgences des temps modernes
La compensation permet à une petite partie de la population mondiale de prendre l’avion sans modération en se donnant bonne conscience. Certains comparent donc le commerce de crédits carbone avec la vente d’indulgences par l’Église catholique. L’argent pouvait acheter le pardon du péché – mais il n’empêchait évidemment pas le péché d’être commis. L’argent servait ensuite à construire des cathédrales et à subvenir aux besoins du Vatican. L’actuel pape François est plus clairvoyant au sujet de la compensation carbone. Il dit : « Les avions polluent l’atmosphère mais avec une petite partie du prix du billet, ils planteront des arbres pour compenser une partie des dégâts causés. … C’est de l’hypocrisie ! »
Certains font valoir que si nous autorisons la compensation en tant que « dernier recours », et que nous essayons de compenser les émissions localement, c’est mieux que de ne rien faire. Mais il n’en demeure pas moins que la compensation devient alors une licence pour polluer et pour préserver le statu quo. Ainsi, la compensation carbone retarde les changements indispensables dans notre système de mobilité.
Si vous voulez vraiment dépenser de l’argent, mieux vaut nous soutenir que d’acheter des crédits de compensation carbone =)
En savoir plus :
- Rapport de Stay Grounded (2017): L’illusion de l’aviation verte
- Article de Transport & Environnement (2020) : Airline Offsetting is a Distraction
- Campagne de Fern contre la compensation carbone du transport aérien : https://www.fern.org/climate/aviation/
- Rapport de la Climate Justice Alliance (2017) : Carbon Pricing. A Critical Perspective for Community Resistance
En février 2020, le plus gros émetteur de carbone en Europe, Ryanair, a étésanctionné par un tribunal pour ses allégations trompeuses selon lesquelles elle serait une compagnie verte. C’est une décision claire – mais la plupart du temps, sans connaître les détails, il est difficile de décrypter les mensonges du secteur.
Efficicacité énergétique : progrès insuffisants
Les nouveaux modèles d’avions utilisent des technologies permettant des économies de kérosène de l’ordre de 1,5% par an . Toutefois, ces gains d’efficacité permettent de baisser les prix et encouragent donc encore plus de gens à prendre l’avion. Sachant que le secteur aérien prévoit un taux de croissance annuel de 3,7 % et que ces dernières années le taux de croissance annuelle avoisinait les 7 %, les économies apportées par les gains d’efficacité énergétique ne jouent qu’à la marge.
Carburants alternatifs : de l’huile de palme dans le réservoir ?
Le secteur prévoit de remplacer une partie du kérosène fossile par des biocarburants – du carburant fabriqué à partir de déchets ou de cultures oléagineuses. Aujourd’hui, les biocarburants représentent 0,01% de tout le carburant utilisé dans l’aviation. L’IATA indique que cette part pourrait monter à 2% d’ici 2025. C’est très peu – ce qui pourrait être en fait une bonne nouvelle car les biocarburants peuvent entraîner des conflits de territoire et des dégâts environnementaux, surtout si aucun garde-fou n’est mis en place, comme c’est le cas pour le carburant d’aviation. L’huile de palme est considérée comme l’option la plus viable, bien que ses plantations soient l’une des principales causes de déforestation, de perte de biodiversité et de violation des droits de l’homme. Une étude de la Commission européenne a conclu que les biocarburants à base d’huile de palme émettent au moins trois fois plus de gaz à effet de serre que les combustibles fossiles qu’ils remplacent. Une autre étude récente révèle que les organismes de réglementation de l’aviation calculent les réductions d’émission liées à l’utilisation de biocarburants de façon très optimiste et contestable.
Les avions électriques en développement aujourd’hui sont encore loin de pouvoir être utilisés par les compagnies aériennes : ils pourraient transporter jusqu’à 9 passagers, mais ils n’ont pas d’avenir en raison notamment du poids excessif des batteries. « Si on est réaliste, les avions hybrides électriques et 100 % électriques ne seront pas là avant 40 ans », selon Duncan Walker de l’Université de Loughborough au Royaume-Uni.
E-carburants : un faux espoir
Les carburants synthétiques fabriqués à partir d’électricité sont techniquement réalisables, mais il n’y a encore pratiquement pas d’infrastructure pour les produire. En outre, la conversion d’électricité en carburant est un processus très énergivore. En théorie, les carburants synthétiques pourraient être produits à partir de surplus d’électricité renouvelable et servir à la stocker en période de surproduction d’énergie éolienne ou solaire. Mais le problème est que nous sommes encore loin de produire suffisamment d’énergie renouvelable pour le transport terrestre, la production agricole ou le chauffage. Si tous les avions se mettaient à voler avec des e-carburants, cela consommerait plus que toute l’électricité renouvelable aujourd’hui disponible dans le monde, ne laissant rien aux autres secteurs. Pire encore les effets climatiques hors CO2 des avions demeureraient – et ils représentent environ deux fois leurs émissions de CO2.
Une approche assez prometteuse consisterait à modifier les itinéraires de certains vols long-courriers, dans le but d’atténuer l’effet de réchauffement des traînées de condensation. Ces nuages artificiels se forment derrière l’avion dans certaines conditions atmosphériques qui dépendent de l’endroit et de l’heure. Cela concerne principalement les vols de nuit transatlantiques. Les traînées de condensation ont un effet climatique similaire à celui du CO2 – les réduire va donc dans le bon sens. Toutefois, les changement d’itinéraires peuvent entraîner une consommation accrue de carburant. Cela doit donc aller de pair avec une réduction du trafic.
Compenser les émissions : déplacer le problème au lieu de s’y attaquer
Comme il n’existe pas de solutions technologiques pour le futur proche, l’option la plus souvent mise en avant par le secteur aérien est la compensation carbone : les émissions sont compensées par l’achat de crédits carbone. Découvrez ici pourquoi ce choix ne résoudra pas le problème et pourrait même générer des problèmes encore plus graves.
En savoir plus :
- Article de Transport & Environnement (2020) : Airline Offsetting is a Distraction
- Campagne de Fern contre la compensation carbone du transport aérien : https://www.fern.org/climate/aviation/
- Rapport de la Climate Justice Alliance (2017) : Carbon Pricing. A Critical Perspective for Community Resistance
- Rapport de Stay Grounded (2017): L’illusion de l’aviation verte
- Article scientifique (2016) : Are Technology Myths stalling Aviation Climate Policy?
Pourquoi le transport aérien est-il si peu réglementé ?
Le transport aérien international, qui représente pourtant environ 65% des émissions de l’aviation civile, n’est pas régi par l’Accord de Paris ni par son prédécesseur, le Protocole de Kyoto ; le transport aérien national n’est pas explicitement mentionné non plus. Si bien que c’est à l’OACI (Organisation de l’Aviation Civile Internationale), une agence des Nations Unies, qu’il revient de réguler le transport aérien mondial.
En 2016, 18 ans après avoir reçu le mandat de le faire, l’OACI a enfin présenté son plan climat pour l’aviation, appelé CORSIA (Carbon Offsetting and Reduction Scheme for International Aviation ; en français : Régime de compensation et de réduction de carbone pour l’aviation internationale). Le régime CORSIA prévoit de plafonner les émissions de l’aviation à partir de 2021 pour permettre une « croissance neutre en carbone ». Cela devrait se faire pour l’essentiel par le biais de la compensation carbone, reposant sur des projets soi-disant respectueux du climat. Continuez la lecture pour en savoir plus sur les problèmes liés à la compensation.
CORSIA comporte plusieurs problèmes : premièrement, seule une petite partie des émissions est couverte. Les premières années, le système fonctionnera sur la base du volontariat et seuls 81 États ont prévu de participer. Deuxièmement, il ne couvre que l’augmentation des émissions à partir de 2021 (jusqu’en 2035), c’est-à-dire celles qui dépasseront le niveau atteint en 2020. Mais les émissions des avions sont déjà bien trop élevées et il faudrait les réduire. Troisièmement, les effets du transport aérien non liés au CO2 ne sont pas pris en compte, ce qui signifie qu’au moins la moitié de l’impact climatique est ignorée. Quatrièmement, CORSIA ne couvre pas les émissions des vols intérieurs. Cinquièmement, CORSIA pourrait entraver juridiquement le renforcement de réglementations nationales en matière de transport aérien. D’autres failles et vides juridiques, ainsi que l’absence de garanties, poussent de nombreuses organisations de la société civile à exiger d’ arrêter CORSIA.
En Europe, les vols sont théoriquement couverts par le Système d’Échange de Quotas d’Émissions de l’UE. Toutefois, dans ce système, le coût de la tonne de CO2 est beaucoup trop faible pour faire vraiment la différence. En outre, les compagnies aériennes se voient attribuer gratuitement une grande partie des droits d’émission. Et les vols internationaux au départ et à destination de l’UE sont totalement exclus.
L’absence de réglementation du secteur aérien s’explique souvent par l’importance historique de l’industrie aéronautique pour la sécurité nationale. Les ventes d’équipements militaires représentent 20 % du chiffre d’affaires de l’avionneur Airbus ; ce chiffre grimpe à 50 % pour Boeing. Les deux sociétés dominent le marché aéronautique mondial et leurs appareils sont responsables de pas moins de 92 % des émissions du trafic aérien.
De nombreux pays justifient leur refus de réglementer leur secteur aérien en soulignant que les objectifs de réduction de l’accord des Nations-Unies sur le climat ne concernent que les émissions ayant lieu à l’intérieur des frontières d’un pays et qu’ils ne concernent donc pas le transport aérien. Cet argument est incohérent : après tout, une partie de la production d’un pays est exportée et les émissions qui y sont liées sont malgré tout attribuées au pays d’origine. De la même manière, le kérosène avitaillé dans un pays donné pourrait facilement être comptabilisé. Les carences de la réglementation expliquent également pourquoi les vols sont si bon marché par rapport à d’autres modes de transport.
En savoir plus :
- Fondation Heinrich Böll (2018) : The Illusion of green flying
- Transport & Environnement (2016) : Aviation emissions and the Paris Agreement
- Carbon Market Watch : Aviation
- Article scientifique (2019) : International and national climate policies for aviation
- Rapport de Stay Grounded (2017): L’illusion de l’aviation verte
Les privilèges fiscaux du transport aérien
Une des principales raisons de la faiblesse des prix des billets est que l’argent des impôts sert à subventionner l’avion. Tout le monde – y compris ceux qui ne prennent pas l’avion – paie pour un enchevêtrement confus de subventions, d’exonérations fiscales et d’investissements publics afin que le mode de transport le plus polluant au monde reste abordable.
Alors que le secteur aérien réalise des profits de plus en plus importants, la pression sur ses employés s’accroît. La qualité et la sécurité diminuent, le stress et l’épuisement professionnel (le « burnout ») sont en hausse. Le personnel qualifié est progressivement remplacé par des travailleurs à temps partiel inexpérimentés et moins chers. Le modèle économique évolue de plus en plus aux dépens des employés, en particulier dans les compagnies à bas prix.
La plus grande compagnie aérienne européenne à ce jour, Ryanair a donc dû faire face à la colère des syndicats. L’entreprise choisit préférentiellement les contrats de travail les moins protecteurs de l’UE et sous-traite la main-d’œuvre par le biais d’agences et de faux régimes de travail indépendant. Ryanair applique également une stratégie de division des syndicats et et se montre hostile aux droits de ses employés à s’organiser, à s’exprimer et à se faire représenter sans risque de représailles. Au terme d’une longue bataille, la lutte contre Ryanair a été en partie couronnée de succès.
En savoir plus :
- Article de Stay Grounded (2019) : Eliminating Tax Exemptions
- Article de Transport & Environnement (2019) : A cheap airline ticket doesn’t fall from the sky
- Campagne de la fédération des syndicats : : https://www.cabincrewunited.org/
Il existe de nombreuses façons de s’attaquer au transport aérien. Il faut privilégier des mesures équitables : il n’est par exemple pas juste de se contenter d’augmenter les prix des billets, ce qui ne laissera qu’aux riches le luxe de prendre l’avion. La conférence Stay Grounded de juillet 2019 à Barcelone s’est penchée sur comment réduire le trafic aérien d’une manière équitable. Les conclusions peuvent être trouvées dans le rapportDegrowth of Aviation (Décroissance du transport aérien).
Des centaines de nouveaux aéroports et d’expansions aéroportuaires sont prévus pour alimenter la croissance fulgurante du transport aérien. 550 nouveaux aéroports ou pistes sont prévus ou en cours de construction dans le monde entier, ainsi que des agrandissements de pistes, de nouveaux terminaux, etc., soit au total plus de 1200 projets d’infrastructure.
La plupart d’entre eux engendrent la mainmise sur de nouvelles terres, la destruction d’écosystèmes, le déplacement de populations, l’augmentation de la pollution locale et des risques sanitaires. Le bruit, et les particules fines et ultra fines sont un problème majeur pour les gens habitant à proximité des aéroports. De plus en plus d’aéroports, en particulier dans l’hémisphère Sud, deviennentdes « aérotropoles », ou villes aéroportuaires, entourées de zones commerciales et industrielles, d’hôtels, de villes dédiées au commerce, de centres logistiques, de routes ou de zones économiques spéciales. Ces projets sont souvent à l’origine de violations des Droits de l’Homme.
Les aéroports représentent une infrastructure majeure pour l’économie capitaliste mondialisée, nécessaire à la production en flux tendu et au commerce des marchandises, aux voyages d’affaires, au tourisme, ainsi qu’à l’expulsion devoyageurs indésirables,les migrants sans papiers. Une résistance efficace contre les projets aéroportuaires peut empêcher l’hégémonie d’un mode de transport destructeur et à forte intensité d’émissions pour les décennies à venir.