En début d’année, Daniela Subtil, coordinatrice du réseau Stay Grounded, a contribué au rapport Climate Justice in Tourism, publié par la Travel Foundation. Ce rapport explore la manière dont le tourisme peut réduire son impact sur le changement climatique de manière équitable. Élaboré à partir d’informations fournies par des experts du monde entier, il souligne la nécessité pour le secteur de prendre en compte son empreinte carbone considérable, notamment par le biais du transport aérien, qui affecte les communautés les moins responsables des émissions. Ce rapport est d’autant plus précieux qu’il préconise des pratiques touristiques qui soutiennent, plutôt que de leur nuire, les communautés vulnérables confrontées aux défis liés au climat.
Le tourisme est à la fois promoteur du changement climatique et vulnérable à ses conséquences. Les communautés d’accueil sont à la fois économiquement dépendantes du tourisme et menacées par ses impacts sociaux et climatiques. La justice climatique exige que le secteur prenne ses responsabilités et donne la priorité aux besoins des communautés locales dont les « destinations touristiques » sont les foyers. La réorientation du tourisme vers la justice climatique, en mettant l’accent sur les communautés et les écosystèmes sur lesquels reposent les expériences de voyage, permettra au secteur de mieux positionner ses investissements et d’assurer sa durabilité.
Le tourisme est responsable d’une part importante des émissions de gaz à effet de serre (GES), principalement du fait du transport aérien
En 2019, les voyages ont été responsables de 8 à 11 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (1), principalement du fait du transport aérien (2). Les vols long-courriers les plus longs, qui représentent 2 % du nombre total de voyages, sont responsables de 19 % des émissions mondiales du tourisme. Si rien n’est fait, ces vols et leurs émissions totales quadrupleront d’ici à 2050 (3).
Les privilégiés contribuent de manière disproportionnée aux émissions
En 2019, les pays à revenu élevé étaient responsables de près de la moitié de toutes les émissions liées aux voyages et au tourisme, et de deux tiers des émissions liées aux vols internationaux et aux croisières (4).
Les émissions liées au tourisme sont causées de manière disproportionnée par un petit pourcentage de la population mondiale qui effectue régulièrement des voyages internationaux. Seule 11% de la population mondiale a pris l’avion en 2018, et moins de 4 % pour partir à l’étranger. Il est indécent que 1% de la population mondiale soit à l’origine de plus de la moitié des émissions de gaz à effet de serre dues à l’aviation (5).
Les plus défavorisés subissent de plein fouet les effets du changement climatique
Paradoxe de l’injustice climatique, les effets du changement climatique sont subis de manière disproportionnée par ceux qui voyagent le moins et génèrent le moins d’émissions. Les communautés du Sud géopolitique sont souvent les plus durement touchées par le changement climatique, en particulier les groupes sous-représentés et vulnérables tels que les femmes, les enfants, les communautés autochtones, les travailleurs précaires, mal payés, non déclarés et les personnes vivant avec un handicap.
Les risques associés au changement climatique menacent les moyens de subsistance et les principaux atouts des communautés d’accueil, dont le tourisme dépend également. Les nations insulaires du Pacifique comme Fidji ou Tahiti, dont les économies dépendent fortement du tourisme, seront parmi les premières à devenir inhabitables en raison de l’élévation du niveau des océans due au changement climatique.
Lorsque le tourisme monopolise les ressources d’une communauté, il empêche les populations locales d’accéder aux ressources naturelles et culturelles qui sont essentielles à leur identité et à leur survie, et d’en tirer profit. Le changement climatique peut aggraver cette situation. Dans les communautés où le tourisme a déjà fait grimper le prix de la nourriture, du logement, de l’électricité et de l’eau, une catastrophe climatique telle qu’un ouragan, un feu de forêt ou une inondation peut rendre les produits de première nécessité encore plus inaccessibles pour la population locale si les ressources sont réservées en priorité aux touristes.
Le tourisme représente 10 % du PIB mondial et constitue un pilier des économies locales
Le tourisme assure le revenu de près d’une personne sur dix dans le monde et représente environ 10 % du PIB mondial.
Le bon côté des choses, c’est que le tourisme permet le développement économique de communautés partout dans le monde, en particulier dans les zones rurales et isolées où les opportunités économiques sont limitées. Le revers de la médaille est que les régions les plus durement touchées par le changement climatique et qui ont le moins de ressources ou de capacités pour s’adapter ou renforcer leur résilience sont souvent fortement tributaires du tourisme.
Ainsi, la lutte contre l’impact destructeur du tourisme n’est pas une question simple. Les mesures de décarbonation et d’adaptation peuvent poser des défis supplémentaires aux communautés dépendantes du tourisme. Dans le secteur aérien, les efforts visant à réduire les émissions de carbone en décourageant les vols long-courriers risquent de priver les personnes qui en dépendent le plus des bénéfices du tourisme. En ce qui concerne l’adaptation, à mesure que les entreprises touristiques chercheront à réduire les risques liés au changement climatique, elles désinvestiront certains pays, certaines entreprises et certaines activités touristiques, privant ainsi la population locale de sa principale source de revenus.
Le changement climatique est une menace pour les entreprises touristiques elles-mêmes
Le changement climatique et ses effets devraient avoir de lourdes conséquences pour le tourisme. Les entreprises supportent déjà des coûts élevés pour faire face aux perturbations climatiques. Les régions les plus vulnérables sont celles où le tourisme contribue de façon importante au PIB et celles où la croissance du tourisme devrait être la plus forte. Les formes actuelles de tourisme ne resteront pas viables dans certaines destinations.
Appliquer la justice climatique au tourisme
Depuis 2020, l’urgence climatique fait l’objet d’une prise de conscience croissante dans le secteur du tourisme. Suite à la Déclaration de Glasgow pour l’action climatique dans le tourisme (6) en 2021, plus de 850 organisations, dont des gouvernements nationaux et régionaux, des entreprises du tourisme, des organisations sur les sites de destinations touristiques et des petites et moyennes entreprises, ont déjà pris l’engagement commun de mettre en place un plan d’action climatique pour leur organisation. De nombreux plans comprennent des actions climatiques qui pourraient soutenir la justice climatique, même si elles ne sont pas explicitement dévolues à cet objectif.
Afin de faire véritablement évoluer le secteur vers la justice climatique, une réflexion plus approfondie sur les différents aspects du fonctionnement du tourisme ainsi que des engagements sont nécessaires. L’ensemble de la chaîne de valeur doit veiller à ce que les bénéfices créés par le tourisme reviennent aux communautés locales, tant en termes de propriété qu’en termes d’opportunités.
L’inclusion, la collaboration et l’engagement pour la communauté sont des éléments importants de la mise en œuvre de la justice climatique dans le tourisme. Cela peut impliquer des acteurs touristiques atypiques tels que des organisations à but non lucratif, des organisations communautaires et environnementales, des structures de services à la jeunesse, des résidents et d’autres acteurs, dont les diverses perspectives soutiennent une approche plus durable. Une approche fondée sur « l’éthique du prendre soin » inviterait tous les acteurs du tourisme et des secteurs connexes à collaborer dans le cadre d’un engagement commun en faveur de la durabilité globale des destinations.
Lorsque les organisations développent des stratégies d’inclusion et de collaboration faisant sens, des approches plus systémiques et holistiques du tourisme peuvent émerger. Cette approche implique de prendre en compte les multiples interactions sociales et environnementales que le tourisme entretient avec les communautés et les écosystèmes et de développer des relations plus symbiotiques avec les communautés d’accueil et le monde naturel.
10 idées d’action collaborative en faveur de la justice climatique
1 : Mieux comprendre les risques auxquels les communautés sont confrontées en raison de la poursuite des activités touristiques dans un climat qui change est une étape importante pour faciliter des approches plus ciblées en matière de justice climatique.
2 : Un fonds pour le climat soutiendrait la transition écologique, le renforcement de la résilience et la réponse aux crises pour les communautés de destination les plus vulnérables.
3 : Les entreprises pourraient soutenir des projets pilotes axés sur des destinations clés et leurs problèmes les plus critiques liés au climat.
4 : Les entreprises touristiques pourraient s’engager davantage auprès des organismes de gestion des destinations et des administrations nationales du tourisme en tant qu’interface avec les fournisseurs locaux, les ONG et d’autres agences, en facilitant les partenariats au niveau local.
5 : Le secteur des voyages et du tourisme est bien placé pour apporter une réponse d’urgence en cas de crise. Les entreprises pourraient collaborer avec les organisations d’aide humanitaire, les dirigeants locaux et les parties prenantes afin de renforcer les capacités de leurs infrastructures et de leur main-d’œuvre en vue d’une réaction rapide en cas de crise.
6 : La collaboration avec les fournisseurs communs permettrait d’éviter la duplication des charges sur les fournisseurs locaux et créerait des opportunités pour les soutenir – par exemple avec des outils et des ressources pour l’action climatique.
7 : Un budget carbone pour les émissions restantes liées aux voyages et au tourisme internationaux pourrait être créé et réparti équitablement entre les destinations d’accueil au niveau national.
8 : Une réglementation et des incitations équitables peuvent encourager l’investissement dans des produits durables et leur commercialisation, à condition que les réglementations n’aient pas d’impact négatif sur les entreprises touristiques dans les destinations les plus exposées aux effets du changement climatique.
9 : Une taxonomie verte pourrait orienter les investissements vers les projets les plus susceptibles de fournir un retour sur investissement social et environnemental, sur la base de l’évaluation des besoins par la communauté elle-même.
10 : Un mécanisme de classement pourrait permettre d’identifier les destinations où le tourisme contribue à rendre les communautés plus résilientes, ainsi que celles où le tourisme nuit à la résilience des communautés en donnant la priorité aux besoins des visiteurs.
Références
(1) Scott, D., Hall, C.M., Rushton, B. & Gössling, S. (2023). A review of the IPCC Sixth Assessment and implications for tourism development and sectoral climate action. Journal of Sustainable Tourism, DOI: 10.1080/09669582.2023.2195597.
(2) (TPCC). Tourism Panel on Climate Change (2023). Tourism and Climate Change Stocktake 2023. [Eds. Becken, S. & Scott, D.]. https://tpcc.info/ p. 12
(3) Peeters, P. & Papp, B. (2023). Envisioning Tourism in 2030 and Beyond: The changing shape of
tourism in a decarbonising world. The Travel Foundation. https://www.thetravelfoundation.org.uk/envision2030/ p. 32
(4) WWTC. (n.d.). “Travel and Tourism’s Global Footprint.” Retrieved 5 May from https://globaltravelfootprint.wttc.org
(5) Global Environmental Change , 2020
(6) Glasgow Declaration (oneplanetnetwork.org)
https://www.oneplanetnetwork.org/sites/default/files/2022-02/GlasgowDeclaration_EN_0.pdf
Ceci est un résumé du rapport récemment publié par la Travel Foundation « Justice climatique dans le tourisme : un guide d’introduction ». Le résumé a été produit par Elisabeth Millara, bénévole de Stay Grounded.