Le luxe est-il un « mode de consommation excessif » ? La question est gênante pour les professionnels de la pub qui tirent une part importante de leurs revenus de l’industrie du luxe, fleuron, comme l’aéronautique, de l’économie française. Face à nos plaintes relatives à deux publicités d’Air France pour ses classes Affaires et Première, ils ont botté en touche sans répondre à la question. Et pour cause ! Il leur était difficile de contester le fait que les passagers des classes de luxe émettent de 4 à 5 fois plus de CO2 que ceux qui voyagent en classe économique (1).
Le code de déontologie de la pub en matière de développement durable est clair : « La publicité ne saurait inciter directement ou indirectement à des modes de consommation excessifs (…) et doit proscrire toute représentation susceptible de banaliser, ou de valoriser des pratiques ou idées contraires aux objectifs du développement durable. »
Le jury de déontologie publicitaire (JDP) s’est déjà appuyé sur cette règle pour donner raison à l’Ademe contre Transavia (filiale d’Air France), qui avait fait en 2022 une campagne d’affichage proclamant : « Ne passez jamais vos week-ends au même endroit ». Le JDP a en effet estimé que prendre l’avion tous les week-ends était un mode de consommation excessif et que la pub ne devait pas y inciter les consommateurs.Deux poids, deux mesures
En contestant le droit d’Air France de faire de la pub pour ses classes de luxe, nous ne disons pas autre chose. Un passager de classe Affaires ou de Première génère 4 ou 5 fois plus de CO2 qu’un passager de classe économique. La raison principale en est que ces passagers prennent beaucoup plus de place dans l’avion. Alors, quand Air France vante les menus élaborés par 17 chefs prestigieux servis en classe Affaires, ou fait la promotion de La Première, sa nouvelle première classe, offrant encore plus de luxe et de confort, la compagnie n’incite-t-elle pas les consommateurs aisés à des pratiques contraires aux objectifs du développement durable et à des modes de consommation excessifs ?
Le JDP justifie son rejet en alléguant que « rien n’interdit en publicité de faire la promotion des cabines Affaires/Business des compagnies aériennes et donc de mettre en avant les avantages, services et autres offres de confort proposées dans cette classe (en l’espèce, la restauration en cabines et salons), tant que les allégations sont véridiques et proportionnées conformément aux exigences de ladite Recommandation Développement Durable ».
Nous ne contestons pas la « véracité » du contenu de ces deux pubs, ni leur « proportionnalité », mais le fait qu’elles valorisent les voyages en classes de luxe, que nous considérons comme un mode de consommation excessif, contrevenant ainsi au code de déontologie de la profession. N’ayant trouvé dans la réponse du JDP aucun élément infirmant le fait que les voyages en classes de luxe sont nettement plus nuisibles au climat que les mêmes voyages en classe économique, nous avons contesté le rejet de nos deux plaintes, sans réponse à ce jour.
Faire le tri entre ce qui est essentiel et ce qui ne l’est pas
Le climat est un bien commun essentiel qu’il est plus qu’urgent de sauvegarder. En l’absence de solutions technologiques pour réduire significativement les émissions des avions, c’est le trafic qui doit être réduit, et fortement.
Si nous ciblons les pratiques de luxe – jets privés, classes premium, voyages fréquents – ce n’est pas seulement pour leur impact climatique excessif, c’est aussi parce qu’elles plombent l’acceptabilité des efforts demandés à tous pour limiter leur empreinte carbone dans la vie de tous les jours (transport routier, logement, alimentation) et des mesures générales de réduction du trafic aérien que nous prônons. Comment en effet demander aux autres usagers de l’avion de réduire leurs voyages et de les payer plus cher alors que certains en font un usage excessif ? Il faut donc commencer par là. Mais nous visons tous les vols qui ne sont pas à proprement parler essentiels, en particulier ceux dédiés au tourisme et aux loisirs qui sont responsables de 75% des émissions de l’aviation en France.
Eric Lombard, Rester sur Terre
Lire aussi : Havas Voyages doit nous faire rêver d’aller moins loin, et sans avion
(1) : Selon le nouvel étiquetage carbone de l’Union européenne pour les voyages en avion, un passager long-courrier en classe affaires émet en moyenne 2128 kg de CO2, soit 3,8 fois plus qu’un passager en classe éco. Pour un vol Air France Paris-New-York, Google flights indique un ratio de 4 pour la classe affaires et de 5 pour la première.


