« Nous sommes venu·es dire aux super-riches que la fête est finie »
25 Mai, 2023

Ce fut un moment clé pour le mouvement contre les jets privés et les vols excessifs, qui est en pleine croissance : le mardi 23 mai, 103 militant·es pour le climat ont perturbé le plus grand salon européen des jets privés EBACE à Genève. Plus de 800 articles de presse ont rendu compte de l’action. Le même jour, une manifestation à vélo à Genève s’est soulevée contre EBACE.

Les jets privés et leur immense impact climatique sont un scandale. Nous devions interrompre ces hommes d’affaires qui boivent du champagne tout en prospectant pour leur nouveau modèle de jet.», a expliqué Charlène Fleury, l’une des militantes.

Certains d’entre eux sont entrés dans la zone d’exposition de l’aéroport de Genève à vélo, d’autres se sont enchaînés aux entrées des jets, ou ont brandi des banderoles. Des étiquettes géantes de prévention sanitaire, imitant celles que l’on peut voir sur les paquets de tabac, ont marqué les jets comme des objets toxiques et ont averti que les jets privés « brûlent notre avenir », « tuent notre planète » et « alimentent les inégalités ». Les messages d’intérêt public ont été diffusés par des haut-parleurs portés par les militants afin d’exposer les conséquences dramatiques des jets privés pour notre planète et de révéler l’hypocrisie de la promotion des jets privés alors que les inégalités sociales se creusent.

EBACE – Le plus grand salon commercial de jets privés d’Europe

Nous sommes venu·es dire aux super-riches que la fête est finie. afin d’exposer la toxicité de l’industrie des jets privés, qui alimente davantage la catastrophe climatique et les injustices !», a expliqué Charlène Fleury, venue rejoindre l’action depuis la France. Ils ne s’attendaient pas à nous», a-t-elle déclaré. Le salon EBACE a été pris par surprise. L’accèsà l’espace d’exposition des jets était pratiquement impossible pour le grand public. Environ la moitié des 10 000 participants au salon possédent ou exploitent un aéronef.

EBACE est le plus grand rassemblement annuel d’Europe – et l’un des principaux au monde – des acteurs de l’industrie de l’aviation d’affaires telles que les vendeurs, les acheteurs, les fournisseurs de composants et les producteurs de jets privés. Ce salon est organisé par les lobbies européens et américains EBAA et NBAA. Les ventes de jets privés sont susceptibles d’atteindre un niveau record cette année !

Les propriétaires de jets privés ont un patrimoine net moyen supérieur à 140 millions et représentent 0,0008 % de la population mondiale. “Cela m’a vraiment mis en colère de voir que cet événement, avec les riches invités en costume, se déroule comme si de rien n’était alors que nous sommes au milieu d’une crise du coût de la vie et d’une crise climatique. J’ai vraiment ressenti que nous étions au bon endroit.», a déclaré un militant.

Conscient de la critique croissante, EBACE a tenté de verdir son image, mettant en avant cette année la soutenabilité. « Ce greenwashing des vols de luxe est tout simplement ridicule », déclare Magdalena Heuwieser de Stay Grounded. Le seul jet privé vert est celui qui reste cloué au sol.

 

En dehors du salon des jets privés, une manifestation à vélo a eu lieu, organisée par le membre suisse de Stay Grounded « Actif-trafiC »“. L’une des participantes était le professeur Julia Steinberger, économiste : «L’aviation est acculée et dos au mur : elle n’a pas d’alternative viable à faible émission de carbone dans un horizon de plusieurs décennies. … Si nous ne parvenons pas à interdire complètement les jets privés de la surface de la terre, nous ne serons pas en mesure de respecter l’accord de Paris.

Un mouvement qui se lève pour demander des comptes aux riches

C’était incroyable de voir des gens de 17 pays réunis pour cette action, soutenant différents groupes de justice climatique comme Stay Grounded, Greenpeace, Extinction Rebellion, Scientist Rebellion, ANV-COP21 et Abolir Jatos.

La crise climatique est vraiment terrible, et parfois je me sens seule avec mes préoccupations. Mais rencontrer tous les gens ici et agir ensemble m’a vraiment donné de l’espoir», a déclaré une militante après l’action. Pour certain·es, c’était la première action de désobéissance civile.

Cette coalition diverse et large montre que le mouvement contre l’industrie des jets privés – particulièrement injuste et nuisible au climat – a pris une dimension véritablement européenne.

Une manifestation de solidarité a même eu lieu simultanément aux États-Unis, à l’aéroport de Burlington.dans le Vermont. L’Europe et les États-Unis comptent plus de 90% de tous les jets privés dans le monde.

Le même jour, un aéroport de jets privés à Ibiza a été pris pour cible par des militant·es pour le climat. Quelques jours auparavant, le festival de Cannes a été interrompu par des militants d’Extinction Rebellion France et ANV-COP21, qui ont empêché un jet privé de décoller grâce à des voitures télécommandées transportant des fumigènes.

Les protestations se multiplient. Le 14 février, plus de 20 actions simultanées à travers le monde de la coalition « Make them pay » ont ciblé les aéroports de jets privés, exigeant l’interdiction des jets privés, une taxe sur les voyageurs fréquents et que les pollueurs paient pour leur énorme dette climatique.

En janvier, des militant·es ont perturbé le Forum économique mondial de Davos, bloquant un aéroport de jets privés. En novembre de l’année dernière, des actions simultanées « Make them pay » ont eu lieu dans 13 pays. Et en octobre, une action de masse à l’aéroport d’Amsterdam-Schiphol, intégrée dans une campagne plus vaste, a conduit à l’annonce récente de Schiphol que les jets privés seront bientôt interdits de leur aéroport.

A Genève, les militant·es ont fait la une des journaux. Cependant, ils ont également été confrontés à la répression.

Charlène Fleury raconte l’action :

Tout est allé très vite. En entrant dans la zone d’exposition, la sécurité et la police de l’aéroport nous ont arrêtés, aspergés de gaz au poivre et bloqué certain·es activistes au sol. Nous leur avons dit que c’était une action pacifique et que rien ne serait endommagé, mais les exposants ont paniqué et sont devenus très agressifs. Certains ont vidé leurs bouteilles d’eau sur nous pour essayer de nous empêcher de filmer les violences. Un très jeune homme, très bien habillé m’a crié « Mais tu as des chaussures en plastique ! ». Je n’ai pas compris ce qu’il voulait dire au début, car c’était tellement surréaliste. Voulait-il vraiment dire que mes chaussures étaient polluantes, en les comparant à un jet privé ? J’ai éclaté de rire, c’était tellement absurde. Peu après, alors que je tentais de filmer les activistes, l’un des exposants m’a poussée violemment en arrière et je suis tombée par terre, j’ai encore une ecchymose. Un policier m’a saisie et emmenée assez violemment hors de la zone d’exposition de l’EBACE, et même si j’étais très calme et coopérative, il m’a menottée et m’a maintenu la tête vers le bas.

 

Après quelques heures, la zone a été vidée et les 103 militant·es ont été détenu·es pendant plus de 24 heures. Certain·es racontent qu’à leur sortie des postes de police, les gens dans la rue les ont remercié·es pour leur action courageuse.

Ils doivent maintenant faire face à des accusations. “Mais nous allons traverser cela ensemble, et nous espérons obtenir le plus de soutien possible. C’était épuisant, mais l’ambiance était bonne. Nous avons véritablement réussi à nuire à la réputation des jets privés, et c’est une étape clé pour obtenir de véritables interdictions au niveau politique.», ajoute Charlène.

« Des actions comme celle-ci de la part du mouvement sont extrêmement utiles pour mettre le sujet à l’ordre du jour politique », déclare Magdalena Heuwieser de Stay Grounded.Pour gagner cette bataille, nous avons besoin de plus d’actions de ce genre, mais aussi d’un large éventail de tactiques. Nous devons montrer que le mouvement grandit, en gagnant des influenceurs, des ONG, des scientifiques, des personnalités politiques à notre cause. Il faut annoncer clairement que l’interdiction des jets privés est l’outil le plus efficace – et que nous ne pouvons pas attendre une hypothétique technologie qui n’a pas encore été développée. Pour résumer : utiliser des énergies renouvelables précieuses pour faire voler les taxis aériens privés des riches ne correspond aucunement à notre vision de la justice climatique !

Le moment est venu : EELV et la NUPES ont commencé à faire vivre l’idée d’interdire les jets privés au niveau politique, et celle-ci gagne maintenant du terrain avec divers niveaux de soutien au moins en Belgique, au Luxembourg, aux Pays-Bas et au Portugal.

« Bien sûr, le problème ne se limite pas aux jets privés !», ajoute-t-elle. Les jets privés sont le summum de l’injustice climatique. Mais il en va de même pour l’aviation dans son ensemble. 1 % de la population mondiale est responsable de 50 % des émissions de l’aviation – tandis que 80% de la population mondiale n’a jamais mis les pieds dans un avion. L’aviation a contribué plus au réchauffement climatique que l’ensemble du continent africain !

Le problème concerne également les vols fréquents en général : les programmes de miles aériens qui incitent les vols inutiles, les sièges d’affaires qui prennent trop de place, les « vols à la con » frivoles et inutiles.

Si tout le monde volait autant que les 10% des Européens les plus riches , l’aviation émettrait à elle seule 23 milliards de tonnes de CO2 par an. Cela représente les deux tiers de toutes les émissions mondiales en 2019.